Où l'on vous emmène dans une croisière au bout de l'horreur.
- C’est quoi cette histoire, on a fait des revues de résultats maintenant ?
- Eh bien oui. Afin d’optimiser les synergies entre notre forces créatives et la boucle de renforcement positif avec nos utilisateurs clés, nous avons besoin d’être constamment focalisés sur l’amélioration de la performance, ce qui passe par un retour régulier sur les résultats passés.
- J’apprécie que tu aies pris la peine de tout traduire en français, mais ça n’est reste pas moins un bel exercice de vacuité.
- C’est pas de la vacuité, c’est du management.
- …
- …
- Rappelle-moi la différence ?
- C’est pas la question. La question c’est tout simplement de faire le point sur les sujets pour nous assurer que nous ne négligeons pas certains thèmes, tu vois ?
- Je vois. Et donc ?
- Attends, je reprends mes notes… On tient plutôt bien notre quota d’histoire militaire, ça c’est pas mal. On a encore faite une histoire de catastrophe y’a pas longtemps, c’est bien. Quoi d’autre… ah oui, manifestement ça fait un moment qu’on n’a pas fait naufrage.
- D’une, j’en suis pas convaincu, et de deux je ne suis pas sûr que ça devrait être un objectif, franchement.
- Uh ? Oui, effectivement. J’ai mal lu, ça fait un moment qu’on n’a pas raconté une histoire de naufrage. Je pense qu’on peut remettre ça. Pour peu d’avoir un truc du genre sous le coude. Je veux dire, tu n’aurais pas un truc du genre sous le coude ?
- Ca se pourrait.
- Parfait.
- Il est également question de la Compagnie des Indes Orientales, ça te convient ?
- Et comment ! On a déjà eu affaire à ces sales types, très bien.
- Pas exactement. Il s’agissait de la Compagnie des Indes Orientales britannique l‘East India Company. Une organisation particulièrement puissante, prête à toutes les bassesses et manœuvres pour mettre la main sur les marchandises du bout du monde, immensément riche, dotée non seulement de sa propre armée mais du droit de conquérir de nouveaux territoires pour la couronne, un véritable Etat dans l’Etat et une puissance mondiale à elle toute seule. Là, c’est la Compagnie des Indes Orientales néerlandaises.
- Ha, je vois. Rien à voir.
- Non. C’est une organisation particulièrement puissante, prête à toutes les bassesses et manœuvres pour mettre la main sur les marchandises du bout du monde, immensément riche, dotée non seulement de sa propre armée mais du droit de conquérir de nouveaux territoires pour la couronne, un véritable Etat dans l’Etat et une puissance mondiale à elle toute seule. Mais qui opère depuis les Pays-Bas et s’appelle Vereenige Oost-Indische Compagnie.
- Ca ressemble à un langage humain, mais atrocement perverti. Quelque chose de profondément impie et sale.
- Le prononcer à voix haute peut invoquer des légions de camping-cars.
C’est pour ça qu’on va se contenter de parler de la VOC.
- Qui ne valait donc pas beaucoup mieux que son homologue britannique. Je parle morale, pas valeur financière.
- Je ne sais pas, c’est quoi la valeur morale ?
- C’est ce que je voulais dire.
- Toujours est-il que dans les années 1620, la VOC a besoin d’un nouveau bateau-amiral pour assurer les liaisons avec, c’est logique, les Indes Orientales Néerlandaises. C'est-à-dire essentiellement l’Indonésie. C’est là que ces petits malins ont réussi à acclimater et cultiver la quinine, un moment clé dans la guerre mondiale et immémoriale entre le genre humain et la malaria.
- Une histoire qu’il faudra reprendre.
- A l’époque, le siège de la VOC dans les Indes Néerlandaises, la ville qui deviendra Djakarta, s’appelle Batavia. Un nom choisi en hommage aux ancêtres des Néerlandais, les Bataves.
- ‘spèce de sale Batave !
- C’est malin, bravo.
- Attends, c’est pas moi qui pars à la conquête du monde en baptisant mes colonies avec des salades.
Sinon vous avez l’option donner votre nom à toutes les villes.
- Bref, la VOC lance la construction d’un nouveau fleuron pour sa flotte, un puissant navire marchand de 56 mètres de long, armé de 24 canons, et doté d’une capacité en cale de 650 tonnes : le Batavia.
- Ils construisent un Batavia pour aller à Batavia ? Tu es sûr que ce sont des Néerlandais et pas des Schtroumpfs ?
- Médis tant que tu veux, le Batavia a fière allure.
Comme le montre cette réplique. Parce que l’original…vous allez comprendre.
La construction du Batavia prend fin en 1628, et il part du port de Texel pour son premier voyage le 29 octobre.
- Vers Batavia.
- En effet. Il doit y acheter des épices, la ressource précieuse des Indes orientales. Et pour cela il transporte un véritable trésor : 12 coffres contenant chacun 8 000 pièces d’argent, pour une valeur totale de 250 000 florins. Ce qui fait pas loin de 3,5 millions d’euros de nos jours. En plus, le Batavia emporte des gemmes et objets précieux destinés au Grand Moghol, pour la suite du voyage, pour 60 000 florins supplémentaires (environ 800 000 euros).
- Un joli magot, pour faire simple. Y’a de l’oseille dans la batavia.
- On n’est pas chez les gagne-petit. Le Batavia embarque…un certain nombre de passagers. Franchement il semble y avoir des désaccords sur le registre de bord, puisqu’on trouve les chiffres de 322 ou 341 personnes : 180 membres d’équipage, une centaine de soldats, et le reste de civils. La structure de commandement est conforme aux pratiques de la VOC : tu as un commandant, qui n’est pas un marin mais un marchand membre éminent de la Compagnie, à savoir Francisco Pelsaert ; et un navigateur, Ariaen Jacobsz, pour assurer la partie…ben navigation. Il y a également deux passagers qui méritent d’être mentionnés. Le premier est aussi un marchand, et membre de la Compagnie, mais il présente moins bien que Pelsaert : Jeronimus Cornelisz.
- C’est quoi le problème avec lui ?
- Cornelisz est un apothicaire. En 1627, il a un enfant qui meurt de syphilis à trois mois. Ce qui fait un peu tache, parce que la syphilis est une maladie honteuse qui n’est censée frapper que les fornicateurs invétérés. Pour éviter le scandale et la calomnie, Cornelisz intente un procès à la nourrice, arguant que c’est elle qui lui a refilée, et non sa femme.
- Qui lui a refilée…
- Refilée au bébé, s’entend.
- C’est…ça marche pas comme ça, la syphilis ?
- Bah ça peut se transmettre par le sang, dans l’absolu on peut toujours imaginer que, mais enfin c’est quand même pas l’hypothèse la plus crédible. On a toutes les raisons de penser que Cornelisz était lui-même syphilitique. Et sévèrement même, c'est-à-dire que la maladie avait semble-t-il atteint son troisième et dernier stade, la phase neurologique. Ca expliquerait le comportement de Cornelisz par la suite, qui relève d’un authentique psychopathe. Toujours est-il que dans l’immédiat la réputation de l’apothicaire est ruinée.
- C’est bête, si seulement il avait eu des médicaments sous la main.
- Oui alors on rappelle qu’à l’époque le traitement de la syphilis c’était essentiellement de prendre du mercure, donc autant s’en passer. Par ailleurs, Cornelisz a pour ami le peintre Johannes van der Beeck, qui est accusé d’hérésie. On le soupçonne d’être a minima impie, voire sataniste et/ou Rose-Croix. Il finit en prison et ses œuvres brûlées. Ca fait autant de raisons pour que Cornelisz ait envie de prendre l’air et d’aller refaire sa vie ailleurs. Il embarque donc à bord du Batavia, direction l’autre bout du monde. Et non, je ne sais pas ce qu’il advient de sa femme, mais elle ne fait pas partie du voyage.
- Ok, et le deuxième passager à signaler ?
- C’est une passagère : Lucretia Jans. Elle part rejoindre son époux à Batavia, et elle est manifestement particulièrement charmante, puisqu’elle va s’attirer les attentions du capitaine et du navigateur.
- Ah ben bravo.
- Avant même d’embarquer, Pelsaert et Jacobsz ont déjà du mal à s’encadrer. Ils ont déjà eu l’occasion de travailler ensemble, et ça ne s’est pas très bien passé. Leur rivalité pour s’attirer les faveurs de la jolie Lucretia, qui par ailleurs ne s’intéresse ni à l’un ni l’autre et reste fidèle à son mari, n’arrange pas les choses, et Jacobsz devient carrément hostile envers son commandant. Il sympathise par ailleurs avec Cornelisz, et ils ont tous les deux l’idée de fomenter une mutinerie pour renverser Pelsaert, et s’emparer du navire. Et surtout de son trésor, promesse de pouvoir refaire sa vie loin de la mère patrie.
- Je sens que la croisière va s’amuser.
- On n’a pas fini de se marrer, en effet. Le Batavia est donc parti en direction des Indes lointaines, par l’Est. Il n’est pas tout seul, et navigue au milieu d’un groupe de six navires de la VOC. La flotte fait étape en Afrique du Sud, avant de passer le cap de Bonne Espérance. C’est l’occasion d’une violente dispute entre Pelsaert et Jacobsz, résultat de leur manque d’affinité mutuelle et de la tension provoquée par leur concurrence auprès de Lucretia. Ca ne fait que renforcer la résolution des mutins. Jacobsz modifie la route du navire pour l’isoler des autres, et le Batavia se retrouve seul.
- Ca parait une étape nécessaire si le plan est de se faire la malle avec les coffres.
- En effet, mais ce n’est que le début. Il faut créer une crise qui pourra rallier l’essentiel de l’équipage contre son commandant. A ce stade, les hommes prêts à suivre Jacobsz sont trop peu nombreux. Heureusement pour eux, ils ont une idée brillante.
- Vraiment brillante, ou c’est ironique ?
- Je te laisse juge. Ils décident d’agresser Lucretia dans sa cabine, tout en répandant la rumeur d’une liaison entre elle et le commandant. Cela doit conduire ce dernier à prendre de sévères sanctions contre l’équipage, qui les considérera comme d’autant plus injustes que motivées par des raisons personnelles, et se révoltera en retour.
- Là comme ça je suis pas certain que ce soit très très brillant, mais je ne me prononce pas encore.
- Le 14 mai 1629, un petit groupe d’hommes masqués, mené par le second maître de Jacobsz, fait donc irruption dans la cabine de Lucretia. Ils la déshabillent, puis la badigeonnent d’excréments et de goudron.
- Mais c’est ignoble !
- Oui, je crois qu’on peut difficilement prétendre le contraire. Cependant Lucretia est en mesure d’identifier une partie ses agresseurs, dont le second. Ils sont alors mis aux fers, ce qui ne suscite pas de révolte.
- Ben y’a pas de raison, ça tombe sur les coupables et en plus on ne peut pas nier qu’ils l’ont mérité.
- C’est ça.
- Bon donc en fait c’était pas spécialement brillant.
- Pas spécialement, non. Néanmoins Jacobsz et Cornelisz, qui ne sont pas inquiétés, ne baissent pas les bras. Ils continuent à comploter en attendant le bon moment.
- J’imagine qu’ils en ont encore pour un petit moment avant d’arriver à destination ?
- Oh oui. Mais en fait non. Parce que sur ces entrefaites, le 4 juin, le Batavia fait la connaissance fracassante des hauts fonds du Houtman Abrolhos, une petite chaîne d’îles et de récifs située à 65 km de la côte ouest de l’Australie.
« Goedendag, mate. »
C’est peut-être bien le résultat du changement de course du navigateur pour se séparer du reste de la flotte, ou peut-être simplement un manque de bol. Toujours est-il que le fleuron de la VOC est encastré sur des rochers.
- Mon Dieu, c’est la catastrophe !
- Non, ça va. Le bateau est éperonné comme il faut, y’a des voies d’eau telles qu’il n’est pas sauvable, mais par définition il ne coule pas à pic. Il dispose de trois grands canots, et tu as des îles pas loin. On organise donc des rotations pour amener tout le monde sur la terre ferme, tandis qu’une quarantaine de personnes restent à bord.
- Mais pourquoi ?
- Parce qu’il n’y a pas de danger immédiat. Qu’il faut des gens pour organiser et assurer le transfert des provisions. Et aussi garder un œil sur le trésor. C’est par exemple pour ça que Cornelisz préfère ne pas abandonner le Batavia.
« Mais non, il est un petit peu chargé sur la poupe, c’est tout. »
Cependant les meilleures choses ont une fin. A force d’être secouée par les vagues et les marées, au bout de 9 jours, l’épave finit par se disloquer et couler. Et pour le coup c’est un drame, puisque le bilan se chiffre à une quarantaine de morts. Cornelisz parvient à rejoindre l’île de Beacon Island où se sont regroupés les rescapés, mais il est le dernier à quitter le Batavia vivant. Et entre nous c’est dommage qu’il n’y soit pas resté.
- Tu as mauvais fond.
- Non, je t’assure.
- Si.
- Ok, oui, mais en l’occurrence crois-moi ça aurait mieux valu. En attendant on n’a pas loin de 300 personnes qui se retrouvent au milieu d’un archipel perdu.
- Ca va, on est à 60 bornes de l’Australie.
- Alors déjà c’est l’Australie, donc quand il est question de survivre ça reste sans doute le dernier endroit où il faut aller. Ensuite et surtout à cette époque elle ne compte aucune colonie permanente. Le continent est inconnu et inoccupé par les Européens. En tout état de cause, l’urgence est de trouver du ravitaillement. Le temps que le Batavia se décide à couler, les rescapés ont pu faire le tour des îles à proximité. Il s’avère que Beacon Island et les îles avoisinantes ne disposent que de ressources limitées en nourriture, à savoir la faune locale, des phoques et des oiseaux, et surtout il n’y a pas d’eau douce. Or les réserves récupérées du Batavia ne dureront pas indéfiniment. Il y a quelques mois de boisson, au plus.
- Bon, on fait quoi ?
- Dix jour après le naufrage, Pelsaert décide de prendre un canot, une petite quarantaine d’hommes dont Jacobsz, qui reste le navigateur, des officiers, et quelques passagers, et de partir explorer la côte continentale. Cependant ils font chou blanc.
« Non commandant, y’a pas d’eau, mais attendez c’est quoi cette bestio…argh ! »
La décision et donc prise de prendre la direction de Batavia.
- Dans un canot de sauvetage ?!
- Alors c’est pas une pauvre barque plus. On parle d’une embarcation de 9 mètres, avec des voiles et tout, et qui par définition peut donc accueillir quarante personnes. On peut prendre la mer avec. Mais enfin ça fait 3 000 km à parcourir quand même.
- Eh ben bonne chance à eux. Et pendant ce temps, sur Beacon Island ?
- Le reste des rescapés, soit en gros 250 personnes, a vu le commandant et ses hommes partir à la recherche d’eau…et ils ne reviennent pas. Ce qui reste de l’expédition est alors placée sous l’autorité de Cornelisz.
- Mais pourquoi ? Ce n’est pas un marin, ce n’est pas un soldat.
- Non, en effet. Mais c’est un membre de la VOC, avec un peu d’ancienneté. Et après tout l’expédition est commanditée par la Compagnie. En outre, Jeronimus Cornelisz était manifestement doté d’un charisme véritable, qui lui permet de prendre un ascendant sur ses compagnons d’infortune. Le problème est que Cornelisz se contrefiche allégrement de la survie de ces derniers. Son plan n’a que peu évolué : avec une petite troupe d’hommes qui lui sont dévoués, ceux qui étaient déjà prêts à se mutiner, son objectif est de prendre le contrôle de tout navire qui viendrait à la rescousse des naufragés, pour aller refaire sa vie ailleurs avec l’or et l’argent du Batavia. Dans cette perspective, non seulement les autres rescapés constituent un obstacle, notamment les soldats, mais aussi des bouches inutiles à alimenter au fur et à mesure que le temps passe. De son point de vue, la taille idéale de la colonie improvisée serait, allez, une quarantaine de personnes, qui lui seraient fidèles.
- Attends, tu veux dire qu’il voudrait se débarrasser de…quelque 200 survivants ?
- C’est ça. Dès qu’ils ont posé le pied sur Beacon Island, les rescapés ont constitué un conseil. Cornelisz en remplace les membres par des hommes à sa main. La première décision du nouveau conseil est de condamner à mort un soldat accusé d’avoir volé du vin dans les réserves. C’est cruel, mais c’est une décision d’autorité, ça passe. Ensuite, Cornelisz met en place un sévère système de rationnement, et ordonne que toutes les armes, toute la nourriture, et toute la boisson soient placées sous son commandement. Là encore, ça peut paraître logique. A noter que dans les réserves de boisson en question, il y a pas mal de vin, ce qui ne va pas contribuer à ce que tout le monde se comporte de façon parfaitement civilisée.
- Des gens potentiellement violents et alcoolisés, ça ne présage que du bon.
- Cornelisz constitue un groupe de 22 soldats, sous l’autorité de Wiebbe Hayes, et les envoie chercher de l’eau sur une île un peu plus lointaine et pas encore explorée, West Wallaby, située à près de 9 bornes. En fait, il s’agit surtout d’avoir les mains libres. L’expédition doit envoyer des signaux de fumée si elle trouve de l’eau, on viendra alors la chercher.
- Je sais pas, je compterais pas trop là-dessus.
- En vrai Cornelisz espère surtout qu’ils ne trouveront rien. Il place toutes les embarcations, récupérées ou de fortune, sous son autorité. Des charpentiers ont commencé à travailler sur un bateau de récupération capable d’affronter un peu mieux le large : ils reçoivent l’ordre d’arrêter, puis sont par la suite accusés avoir voulu volé un bateau. Et exécutés. En fait à partir de ce moment le massacre commence. Au début, ce sont des hommes qui sont égorgés pendant la nuit. Des coupables sont désignés, et mis à mort. Puis Cornelisz ordonne d’installer un petit groupe sur une autre île proche, et envoie ensuite à ses hommes les tuer. Ou se contente de les abandonner. Des rescapés sont envoyés au large dans des radeaux pour couler. Cornelisz fait ouvertement tuer tous ceux qui font mine de contester son pouvoir ou même protester. Ainsi un prêtre, soit une figure d’autorité, qui fait l’erreur de n’être pas d’accord avec lui : sa famille est tuée devant lui, et il devient d’un coup plus docile. Cornelisz ira même jusqu’à lui faire à son tour exécuter d’autres rescapés. De fait, une bonne partie des meurtres sont commis par des pauvres types à qui on donne le choix de tuer leur voisin ou d’y passer.
- C’est des techniques de secte ça.
- Ecoute, je ne sais pas dans quelle mesure Cornelisz était effectivement un hérétique quand il quitte les Pays-Bas, mais il s’avère en effet très doué pour la manipulation mentale. Il fait trucider l’essentiel des survivants restés avec lui, soit plus de 120 hommes, femmes, et enfants, en l’espace de deux mois.
L’histoire a évidemment donné lieu à un livre quelques années après. Un livre illustré, c’est plus accessible pour les enfants.
Sachant que Cornelisz lui-même n’aurait commis qu’un seul crime de ses propres mains. Et avant que tu ne commences même à te dire que ça peut être une quelconque circonstance atténuante, il s’agit d’un bébé qu’il a étranglé.
- Oh put…
Au cœur des ténèbres, quoi.
- En dehors des hommes qui lui sont dévoués, Cornelisz épargne également un petit groupe de femmes, mises de côté pour qu’elles servent d’esclaves sexuelles à la troupe. Dont la pauvre Lucretia, que Cornelisz se garde pour lui.
- L’enfer.
- Il y a cependant un grain de sable dans son plan. Contrairement à ce qui était prévu, les soldats envoyés sur West Wallaby trouvent des sources d’eau, et des phoques. Ils envoient donc les signaux convenus. Plusieurs des rescapés mettent alors à l’eau tout ce qu’ils peuvent trouver pour les rejoindre. Cornelisz envoie ses hommes, à bord des canots, pour les tuer, cependant quelques-uns arrivent jusqu’à West Wallaby.
- Eh ben, ils reviennent de loin.
- Ils ne sont pas forcément tirés d’affaire pour autant. Je te rappelle que les hommes de Cornelisz ont à leur disposition toutes les armes de la troupe. Quand ils apprennent ce qui s’est passé sur Beacon, les soldats se préparent au pire. Ils décident donc de se fabriquer des armes improvisées, notamment à partir de matériel récupéré du naufrage, et de se construire un fort en pierre et en corail. Ils montent la garde en attendant l’arrivée des hommes de Cornelisz. Ce dernier, dont les réserves s’amenuisent, décide de lancer une attaque contre le détachement de West Wallaby, pour se réapprovisionner en eau et se débarrasser de ces gêneurs.
- J’espère que ça tient bon, un fort en corail.
- Les hommes de Cornelisz tombent sur des combattants non seulement mieux entraînés, mais en plus en meilleure forme parce que mieux alimentés. Les défenseurs parviennent même à capturer Cornelisz, qui menait l’attaque. Le 17 septembre, ses partisans, menés par Wouter Loos, tentent un nouvel assaut pour le libérer, cette fois armés de mousquets.
- Ca sent pas bon.
- Non là, à moins d’un miracle.
- Oui enfin bon, faut peut-être pas trop compter dessus.
- Homme de peu de foi. S’est alors qu’une voile se pointe à l’horizon.
Deus ex machina, motherfuckers !
- Mais enfin ?!
- Il s’agit du Sardam, un navire de la VOC dépêché depuis Batavia, et commandé par Francisco Pelsaert lui-même. Après 33 jours de navigation vers le nord-ouest, lui et ses hommes sont parvenus à rallier l’île hollandaise de Nusa Kambangan, et à y trouver de l’eau. Quelques jours de mer de plus, et ils ont mis pied à Batavia.
- Belle performance !
- Non seulement ça, mais en plus tout le monde est en vie. L’officier de pont Jan Evertsz, est arrêté et exécuté pour négligence, soupçonné qu’il est d’être responsable du naufrage, et comportement outrageux auparavant, à savoir participation à la tentative de mutinerie.
- Attends, juste un truc. C’est moi ou les noms de famille néerlandais c’est juste des noms auxquels on rajoute « sz » ?
- C’est manifestement ça. Jacobsz est aussi arrêté pour négligence, mais Pelsaert ne soupçonne pas sa participation au coup. Une expédition est constituée pour aller récupérer le reste de l’équipage et des passagers. Et les fonds que transportait le Batavia, aussi. Le Sardam fait route vers le site du naufrage, et arrive sur les lieux, comment dire, juste au bon moment.
Wiebbe Hayes, le chef des loyalistes, est le premier à atteindre Pelsaert, et ensemble ils capturent les derniers hommes de Cornelisz. Pelsaert décide d’organiser un procès sur place. Parce qu’il est habité par le juste souci de voir la justice triompher dans les meilleurs délais. Aussi, ramener tout le monde dans le Sardam ça ferait trop de monde. C’est assez vite réglé, Cornelisz et ses 6 principaux associés sont pendus le 6 octobre, après avoir eu les mains coupées.
Ouééééééé !
Un dénommé Loos et un mousse du nom de Pelgrom sont condamnés à être abandonnés en Australie, à chacun de décider si c’est pire, et on n’en aura plus jamais de nouvelles. Ils sont par conséquent les premiers Européens à s’être installés de façon permanente là-bas.
- Comme quoi ça a vraiment toujours été une destination pour les condamnés.
- Oui, et ce sont les Néerlandais qui ont commencé. Le Sardam ramène16 mutins et 70 rescapés à Batavia le 5 décembre. Au final, seuls 116 des passagers du Batavia arrivent à Batavia. Les autres partisans de Cornelisz sont jugés. Et c’est le moment qui va te faire plaire, parce que les autorités ont sorti le petit catalogue des exécutions.
- Ah, chic !
- Plusieurs sont pendus, d’autres sont flagellés, mais on a aussi des châtiments typiquement dignes de la marine. Plusieurs sont ainsi passés sous la quille, ou balancés d’un mat lors du voyage retour. Le second de Cornelisz, Jacop Pietersz, a droit à la roue.
- Effectivement, ils se sont fait plaisir.
- Jacobsz est consciencieusement « interrogé », mais ne reconnaît jamais avoir participé à la mutinerie. Faute de preuve, il n’est pas exécuté, et on ne sait pas ce qu’il est devenu. Il a sans doute été emprisonné. Quant à Pelsaert, il est reconnu coupable d’avoir manqué d’autorité, ce qui le rend partiellement responsable de tout ce qui est arrivé. Ses biens sont saisis, et il meurt de maladie dans l’année.
- Ils vont finir par achever tous ceux qui avaient survécu, à ce rythme.
- Non, ça finit bien pour certains. Hayes est lui promu sergent, tandis que ses hommes passent tous caporal. Lucretia apprend que son mari est mort entre-temps, parce que décidément sa vie est une grande tranche de rigolade. Elle épousera plus tard un officier et ils rentreront à Amsterdam, où elle vit jusqu’à 81 ans. Tu seras également ravi d’apprendre que 10 des 12 coffres au trésor sont récupérés, ainsi que les cadeaux pour le grand Moghol.
- C’aurait été dommage de les perdre.
- En parlant de perte, il faut attendre 1963 pour que l’épave du Batavia soit repérée par des pêcheurs. Le fort improvisé de West Wallaby tient toujours, et se visite. Et sur Beacon Island, les archéologues trouvent aujourd'hui encore des restes humains.
- Je crois qu’on va en rester là sur les naufrages pendant un petit moment.