Bal tragique à Paris, quatre morts

Où l’on revient sur l’art de la fête à la française.

— Tu sais ce qu’on entend après un incendie?

— Pin-pon?

— Voilà. Et tu sais ce qu’on entend avant?

— «Passe-moi le White Spirit, j’ai pas envie de m’emmerder pour ce barbecue»?

– Non. Enfin si, éventuellement, mais des rires en l’occurrence. De la musique. Le tintement des chaînes, aussi, et des hurlements de loups, avant les hurlements tout court.

— … Attends, on parle de QUEL incendie, là?

— Celui qui se déclenche à Paris par une belle soirée du mois de janvier 1393 – le Bal des Ardents.  

— Ah oui c’est pas tout jeune.

— Et va même remonter un peu plus loin parce que le Bal en question n’intervient pas dans n’importe quel contexte.

— On est en pleine guerre de Cent Ans, non?

— Déjà. Mais ça, ce n’est encore que la toile de fond. Le soir du Bal des Ardents, ça fait déjà pas mal de temps que la cour du royaume de France s’inquiète un peu.

— Ah la guerre, gross malheur.

— Oh ce n’est qu’un des aspects du problème, ça. Le vrai sujet d’inquiétude, c’est le roi. Depuis quelques années, tout le monde se demande si Charles VI n’aurait pas comme un léger pet’ au casque.

— C’est embêtant, ça, dans un régime monarchique.

— Un peu oui. Le môme est monté sur le trône à douze ans, après la mort de son père Charles V.

— C’est… tendre.

— Pour gouverner? Tu m’étonnes. Et c’est bien la raison pour laquelle couronne ou pas, on serre de près le teenager en question.  

— Faudrait pas qu’il aille jouer à des jeux vidéo ou écouter du metal.

— Exactement. Trois personnages — ses trois oncles — se chargent de chaperonner le jeune Charles VI — Louis d’Anjou, Jean de Berry et surtout Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Trois ducs pour le prix d’un.

— Une régence, quoi.

— Pas officiellement, non — la majorité de Charles est avancée pour lui permettre de régner dès ses douze ans, sans attendre d’en avoir quatorze. Officiellement, le roi règne entouré d’un conseil de gouvernement. Les braves tontons ne sont là que pour éclairer, conseiller le jeune roi, voyons, en tout bien tout honneur.

— Sans aucun intérêt personnel dans l’histoire, bien entendu.

— Penses-tu... Bref, oui, évidemment, chaque tonton joue sa propre carte au sein de ce gouvernement des oncles qui utilise joyeusement l’appareil d’État pour servir les ambitions de chacun : l’Italie pour le prince d’Anjou, la gestion des revenus pour le duc de Berry qui s’en fout plein les fouilles au passage, la Flandre et le nord pour le duc de Bourgogne. Tout le monde se gave.

— Et la pression fiscale monte.

— Un peu mon neveu. Les finances royales sont sollicitées, pressurées, détournées. Paris gronde, la province aussi, les impôts augmentent et les révoltes se multiplient. Forcément, le bâton tombe : les paysans se font poutrer, les bourgeois aussi, c’est joyeux comme tout.  

— Et le roi, là-dedans?

— Le hasard fait que Charles VI est tout sauf un imbécile. Il observe. Il apprend. Et surtout, il attend.

— Jusqu’en 1388.

— En gros. Autour de ses vingt ans, le roi décide que c’est le moment de rappeler à tout le monde qui c’est Raoul.

— Et c’est Charles.

— Qui décide de gouverner pour de bon. Il dégage les deux oncles qui lui restent — le duc d’Anjou est mort — et rappelle les anciens conseillers de son père, les Marmousets.

— Les quoi?

— Me demande pas d’où vient le nom, personne n’est trop sûr. Des conseillers, des intimes

— Des fidèles.

— Ce qui est bien, d’autant que ce sont des administrateurs compétents. Le roi se lance dans une série de réformes et tout va bien dans le meilleur des royaumes possibles…

— Je sens venir un sauf.

— Et tu as raison. Le 5 août 1392, dans la forêt du Mans, Charles VI chevauche avec pas mal de compagnie — il fait chaud et tout le monde sue à grosses gouttes, quand un vagabond lui coupe la route en criant des paroles incohérentes, braille que le roi a été trahi. Les gardes du corps se contentent de lui botter vaguement le cul, mais Charles accuse le coup, marqué par la chaleur et la nervosité. Un peu plus loin et un peu plus tard, un page s’endort sur son cheval et sa lance tombe sur le casque d’un autre cavalier.

— Klong.

...

En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

Par En Marge

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