- Non mais c’est pas possible…

- Allons bon, quoi encore ?

- Je rattrape quelques informations que j’avais laissées passer sur l’industrie cosmétique. Je reconnais que ce n’est pas le secteur que je suis avec la plus grande assiduité.

- Ah ça, et ce n’est pourtant pas faute de te prévenir. Tu ne viendras pas te plaindre de l’état de tes pores, je t’ai abondamment alerté.

- Mais non, je ne parle pas de ça.

- Le déni ne te mènera nulle part.

- Ecoute-moi une minute. Tu as des boîtes qui sont allées coller le mot « quantique » sur leurs produits, histoire de pouvoir rajouter un zéro à la facture sans aucune particule élémentaire de justification scientifique sérieuse. C’est dingue quand même.

- On en viendrait même à les penser vénales.

- Non mais sérieusement, c’est affligeant. Capitaliser comme ça sur un concept scientifique, tout ça parce qu’il est à la fois nébuleux et fascinant. Depuis quand on transforme des avancées de la recherche en mots magiques pour nous refourguer tout et n’importe quoi ?

- Euh, alors en ce qui concerne « quantique », je ne suis pas sûr que ce soit l’industrie cosmétique qui soit la plus à blâmer…

Je me souviens avoir entendu une spectatrice pleurer pendant une séance d’Avengers Endgame. Renseignements pris, elle était physicienne.

Et puis ça n’a rien de nouveau. J’ajouterais même que comparé ce qui se faisait il y a disons un siècle, c’est un moindre mal. Au pire, tu paies dix fois le prix un crème dont on peut raisonnablement espérer qu’elle n’est pas spécialement cancérigène. Y’a du progrès.

- De quoi tu parles ?

- Souviens-toi, je t’en avais dit un mot il y a quelque temps : tous les produits radioactifs apparus dans le premier quart du 20^e siècle.

- Ca me dit vaguement quelque chose.

- Ah ben ça fait plaisir. Comme on avait aussi déjà eu l'occasion de le dire, Wilhelm Röntgen découvre les rayons X en 1895, et dès l’année suivante les premiers services de radiologie apparaissent.

- Parce que c’est quand même bien pratique de pouvoir voir dans les patients sans les ouvrir.

« Pratique, peut-être, mais je pose la question : où est le plaisir ? »

- Au même moment, à Paris, Henri Becquerel se penche sur le lien entre ces mystérieux rayons X et son sujet de recherche, la phosphorescence des sels d’uranium. Il pensait que cette phosphorescence était peut-être liée au fait que les sels en question absorbaient la lumière du soleil pour la ré-émettre plus tard. Jusqu’à ce qu’il décide un jour de développer une plaque photographique qu’il avait rangée dans un tiroir avec les sels en question.

- Et réalise alors que la plaque a gardé la trace de rayonnements émis par les sels et qu’ils l’ont marquée comme de la lumière, alors qu’elle était dans le noir.

- Exactement. Où l’on voit dès le début de l’histoire un lien entre radioactivité et plaques photographiques. Tout ceci nous amène à la découverte du radium en 1898, et à la création du terme de radioactivité par Marie Curie, qui savait un peu de quoi elle parlait. Les propriétés physiologiques de la radioactivité sont mises en évidence dès 1900, avec des applications médicales de type radiothérapie.

- Et plus tard Marie Curie ira elle-même apporter la radiologie sur le front.

- Exact, mais entre-temps cette mystérieuse propriété de certains matériaux qui peuvent émettre spontanément de l’énergie sous forme de rayonnements étranges fascine. La radioactivité représente en même temps la pointe de la recherche, des promesses extraordinaires dans de nombreux domaines, et un truc assez flou pour le commun des mortels.

- Je vois bien le lien avec la physique quantique de nos jours.

- C’est ainsi que dès les années 1910 on voit fleurir les produits « radifères », c'est-à-dire qui contiennent des matériaux radioactifs, en général du radium ou du thorium, et qui promettent d’être révolutionnaires voire miraculeux. La radioactivité fortifie l’organisme, prévient les maladies, prolonge la jeunesse, guérit à peu près tout, développe évidemment la vigueur sexuelle…

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