La cité hérétique

Où on s'intéresse à la ville d'Akhenaton. Non, pas Marseille. L'autre.

Akhetaton, la cité hérétique

Au milieu du 14e siècle avant notre ère, un jeune pharaon de 16 ans monte sur le trône pour succéder à son père, Amenhotep III. En deux décennies, Akhenaton va marquer l’esthétique et l’art égyptiens, mais aussi l’histoire des religions en imposant au clergé un culte nouveau, celui du disque solaire. Et c’est en l’honneur d’Aton que le souverain fit sortir des sables une cité entière, dédiée à sa gloire.

Fin 1912, une mission allemande emmenée par l’archéologue Ludwig Borchardt est autorisée à fouiller le site antique de Tal el-Amarna, à mi-distance entre Thèbes et Memphis. Les travaux se concentrent un temps sur ce qui se révèle être l’atelier d’un sculpteur – et pas n’importe lequel : Thoutmès, « grand maître des sculpteurs de la Cour ». Le 6 décembre, Borchardt et son équipe dégagent un buste d’une cinquantaine de centimètres de haut au réalisme saisissant, celui d’une femme au cou élancé et aux sourcils légèrement arqués, coiffée d’une haute couronne bleue décorée d’un uraeus doré, le cobra sacré des Pharaons. Presque intact et parfaitement symétrique, son beau visage aux pommettes hautes et au nez fin et droit affiche un léger sourire de Joconde, peint en rose foncé. « Tout à coup, écrit l’archéologue dans son journal, nous avions entre nos mains l'œuvre d'art égyptienne la plus vivante. On ne peut pas la décrire avec des mots. On doit la voir. » Frappé par la beauté de sa découverte, Borchardt « oubliera » d’en signaler l’importance aux pouvoirs publics égyptiens, minimisant son caractère unique pour pouvoir l’expédier à Berlin, où il est toujours exposé au Neues Museum.

Ce buste dont l’Égypte réclame régulièrement la restitution depuis une trentaine d’années, c’est celui de Néfertiti, « la Belle qui est venue », première des épouses royales d’Akhenaton. Et si Berlin refuse systématiquement d’envisager ne serait-ce qu’un prêt, c’est parce que l’œuvre est sans doute l’une des plus belles pièces découvertes sur le site hors du commun d’Amarna, Akhetaton au temps de la XVIIIe dynastie. Une cité entière, sortie des sables en quelques années et détruite à la mort d’un souverain maudit par le puissant clergé d’Amon qui tenta d’effacer jusqu’à son nom.

Un culte sans précédent

La haine s’explique. Lorsque le jeune homme monte sur le trône de Thèbes en -1355 pour succéder à Amenhotep III, des fissures se sont déjà creusées entre les prêtres d’Amon et le pharaon, sans doute inquiet du pouvoir accumulé par les maîtres de Louxor et de Karnak. Dans les premiers temps de son règne, le fils d’Amenhotep III semble pourtant ne rien vouloir bouleverser. Monté sur le trône sous le nom d’Amenhotep IV, il s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs, enrichissant le complexe religieux de Karnak de nouvelles constructions. Mais déjà, quelques signaux percent. Dans les premières années de son règne, le jeune souverain fait ainsi édifier un nouveau temple, situé à l’écart de Karnak et dédié à Aton, le dieu qui personnifie le disque solaire. Rien de surprenant en soi – après tout, Aton est une des multiples manifestations du soleil, une divinité parmi d’autres dans l’immense panthéon égyptien, plutôt mineure mais digne d’être révérée.

La fracture se situe dans la cinquième année du règne, alors que le jeune Pharaon a déjà épousé Néfertiti, étroitement associée à sa réforme. Brusquement, le culte d’Aton prend une place centrale dans les rites et les cérémonies royales et Amenhotep IV change de nom pour prendre celui d’Akhenaton, « celui qui est utile à Aton ». Le grand temple d’Amon-Râ, à Karnak, est transformé et enrichi d’une nouvelle aile dédiée à Aton. Sur les murs apparaît une représentation nouvelle du Dieu, dépeint comme un Disque solaire dont les rayons se terminent par des mains qui tendent aux hommes la croix ansée Ankh, clé de la vie pour les Egyptiens. Un bouleversement symbolique : jusqu’ici, les dieux égyptiens avaient pour la plupart une forme humaine.

L’émergence d’Aton ne peut que braquer un clergé conservateur et traditionnaliste, d’autant que le jeune Pharaon durcit progressivement une réforme religieuse qui s’oriente de plus en plus vers une première forme de monothéisme – une révolution mentale dans une Egypte où le divin est infiniment multiple.

Nicolas Anelkathenaton.

Aton devient l’Unique et le Sans-Pareil, et Akhenaton va jusqu’à commettre ce qui ne peut être vécu que comme un impardonnable sacrilège pour le clergé thébain : dans les principaux centres religieux du royaume, le pharaon fait détruire les images des dieux traditionnels à la notable exception de Rê, la plus puissante des incarnations divines du Soleil. Les représentations d’Isis et Osiris, d’Horus, d’Anubis, de Bastet ou de Sekhmet sont martelées et leurs noms sont effacés des cartouches qui les évoquent sur les murs des temples. Une opération de haute magie dévastatrice, aux yeux du clergé : dans une civilisation où le Verbe est créateur, où nommer fait exister, effacer le nom des dieux revient à les priver d’incarnation et d’existence – un meurtre, pour les tenants des cultes anciens.

Sans doute confronté par une hostilité qu’on imagine de plus en plus palpable, Akhenaton ne ralentit pas, au contraire – et décide d’un geste fort : quitter la vieille capitale du royaume, Thèbes pour fonder une cité entièrement nouvelle, dédiée au Disque solaire jusque dans son nom, Akhetaton – l’Horizon d’Aton, littéralement.

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En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

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Par En Marge

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