Où l'on se penche sur les fortunes diverses, mais toujours remarquables, de voyageurs qui se sont retrouvés très loin de chez eux, y ont découvert et fasciné des cultures dont ils n'avaient pas la moindre idée, et sont même parfois devenus rois.
- Franchement, tu ne crois pas que tu exagères un peu ?
- Non. Non en général je crois que j’exagère beaucoup.
- Voilà, nous sommes d’accord.
- Mais là, non.
- Je campe sur ma position.
- Vraiment, tu tiens à soumettre à publication académique un papier intitulé De l’attitude envers les premiers visiteurs polynésiens comme une illustration de la corruption morale britannique et de la supériorité de l’esprit français ?
- J’y tiens. Crois-moi, les comités de lecture ont vu pire.
- Ce n’est pas la question. Ca sent l’interprétation biaisée et les considérations oiseuses.
- C’est bien la raison pour laquelle ça ferait une bonne publication universitaire.
- Non, alors là non !
- D’accord, je retire. Il n’en reste pas moins qu’on peut remarquer une différence intéressante dans la façon dont les premiers visiteurs du Pacifique ont été reçus chez nous et chez nos voisins d’outre-Manche. Qui tenait peut-être bien autant au caractère de ces voyageurs venus de loin qu’à autre chose, mais quand même.
- Je n’ai aucune idée de ce dont tu parles.
- D’accord, imagine que tu es né et as vécu toute ta vie du côté de Tahiti.
- Avec plaisir.
- Aussi, on est au 18e siècle.
- Aucune importante.
- Sur ce…
- Attends, tu peux faire le bruit des vagues s'il-te-plaît ?
- Non, arrête de buller, faut qu’on bosse quand même un peu, de temps en temps.
Franchement, vous n’imaginez pas à quel point on doit se forcer.
- D’accord, je garde un œil ouvert, promis.
- Et voilà qu’un jour, des types comme tu n’en as jamais vus se pointent, sur un bateau comme tu n’en as jamais vu non plus, et font comprendre qu’ils viennent d’une contrée plus lointaine que tout ce que tu peux imaginer. Est-ce que tu aurais envie de partir avec eux ?
- Je suis par principe hostile à une option qui implique de près ou de loin de quitter Tahiti.
- Je comprends. Pour autant, il y a bien eu un aventureux qui a été le premier à tenter le voyage. Il s’appelait Ahutoru, ou Aotourou, ou encore Aoutourou. Tu auras compris que son nom a été retranscrit pas des Européens, de façon un peu hasardeuse.
- Appelons-le Ahutoru.
- Il est né autour de 1740, avec quelques incertitudes, mais il a donc près de 30 ans quand Louis-Antoine de Bougainville, explorateur mandaté par le roide France, arrive à Tahiti en avril 1768. Evidemment Ahutoru ne parle pas français, mais il va au-devant de Bougainville et lui fait comprendre qu’il voudrait que ce dernier l’emmène quand il repartira.
« Qu…comment ça repartir ?! »
Bougainville accepte, et notre hardi Polynésien monte à bord, direction l’Europe. Et on peut penser qu’il ne se rendait pas forcément compte de ce que cela représentait. Il semble en effet ne l’avoir réalisé que quelques jours plus tard : il demande à s’arrêter sur l’île de Raiatea, qui était peut-être l’île de son père, mais Bougainville refuse.
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