Où l'on apprend comment un cultivateur audacieux a joué avec les règles et son gros hangar pour prendre tout seul le contrôle d'un marché agricole, et changé définitivement le fonctionnement de la Bourse américaine.
- A table, c’est prêt !
- Ha ha, alors, qu’est-ce qu’on a au menu ?
- Oh, j’ai fait dans le simple et roboratif : soupe à l’oignon.
- Très bien, ça, simple et roboratif. Et puis ça nous inscrit dans une longue tradition. Tu n’es pas sans savoir que l’oignon est manifestement l’une des plus anciennes cultures de l’humanité, c’est une histoire qui remonte à au moins 5 000 ans. Ce modeste bulbe était révéré chez les Egyptiens, qui l’associaient à la vie éternelle et en plaçaient souvent avec les momies, par exemple à la place des yeux comme sur celle de Ramsès IV.
Je crois qu’il a suffisamment mariné là, faudrait passer à la cuisson maintenant.
- Et puis comme ça on était toujours sûr qu’il y aurait quelques larmes au moment de l’enterrement.
- Alexandre le Grand était par ailleurs convaincu que les oignons contribuaient grandement à la force de ses armées, et en faisaient donc un élément incontournable des rations.
- Je crains que le prestige de l’oignon ait un peu diminué depuis l’Antiquité.
- Certes. Mais il reste cependant un légume unique.
- Mmm…en quoi exactement ?
- C’est le seul produit agricole qui soit très officiellement et explicitement banni de la Bourse de Chicago.
- A cause de l’haleine dans la salle des marchés ?
- Mais non, à cause de Vincent Kosuga. Le premier et le seul négociant à avoir pris le contrôle de tout le marché américain d’un produit agricole. L’histoire d’une opération aussi remarquable que contestable.
Et qui contient une saine dose d’antioxydants.
- Raconte-moi donc ça le temps que la soupe refroidisse.
- Vincent Kosuga est né en janvier 1915 à Pine Island, dans l’état de New York, que nous allons à partir de maintenant appeler ile de Pine pour des raisons aussi évidentes qu’immatures.
- Je valide.
- Il devient agriculteur, à la tête d’une ferme de 2 000 hectares sur lesquels il fait pousser des oignons, du céleri, et des salades. Mais il ne se contente pas de faire pousser des trucs. Il joue aussi un peu avec les marchés. Dans les années 30, il fait ainsi quelques paris sur l’évolution des prix sur les marchés du soja et du blé en achetant des contrats à terme.
- On va faire ce truc, quand je prétends ne rien comprendre à un concept comme ça tu l’expliques comme si je n’y connaissais rien.
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