Où l'on se penche sur ces médecins qui faisaient de drôles de trucs avec des têtes de guillotinés.
— Comment ça, « un progrès incontestable » ?
— Je maintiens.
— MAIS DEPUIS QUAND TU DÉFENDS LA PEINE DE MORT, TOI ?
— Tout doux, jeune mustang au jarret fougueux. Je n’ai jamais dit qu’il fallait sortir la guillotine du hangar. Je dis que dans un monde où la peine de mort s’applique, la Veuve est une excellente nouvelle pour les premiers concernés.
— On va encore recevoir des courriers de protestations.
Venez-y.
— N’empêche. Vue d’aujourd’hui, la peine de mort est heureusement considérée pour ce qu’elle est : une peine absurde, immorale et barbare. Vue de la fin du 18e siècle, je te promets que c’est une belle avancée républicaine.
— Explique-toi pendant que je renforce la boite aux lettres.
— Tu vois à peu près comment ça se passait une exécution capitale, avec la Révolution ?
— Honnêtement ? Non.
— Ben c’est normal parce que ça pouvait varier beaucoup.
— En fonction de quoi ?
— De tout. La nature du crime et ta naissance. On n’exécute pas les marquis comme des gueux ni les faux-monnayeurs comme des voleurs de grand chemin ou des empoisonneuses. La Voisin meurt brûlée vive et Louis Mandrin finit sur la roue, mais le chevalier de La Barre, cher à Voltaire, en est quitte pour un rapide coup de sabre. Robert-François Damiens, tu situes ?
— Il fait des vannes, il est Belge et pince-sans-rire ?
"Vous voulez mourir Bramard ? Décapité, vidé, plumé, c'est ça que vous voulez ?
— Pas François, Robert-François. Il a tenté de planter Louis XV en 1757 au beau milieu des jardins de Versailles, ce qui lui a valu l’avantage et le privilège d’être le dernier condamné de France à mourir écartelé en place de Grève. Pile devant l’Hôtel de Ville de Paris, pour situer.
— C’est pas mal salissant, ça, non ?
— Et épuisant.
— Oui alors j’imagine que c’est assez secondai…
— Pour les chevaux, je veux dire. Les pauvres bêtes, on a dû les remplacer, elles écumaient.
— On sous-estime la question de la souffrance animale dans l’application de la peine de mort.
— Ce que je veux dire, c’est que sous l’Ancien Régime, la peine de mort s’applique avec des degrés de souffrance et d’horreur passablement différents. Et puis vient la Révolution : la peine de mort s’applique toujours…
— AH ÇA IRA, ÇA IRA
Sam a le costume et tout. C’est difficile à vivre au quotidien, je vous jure.
— Calme-toi, Saint-Just. Elle s’applique toujours et disons-le, de plus belle, mais avec deux nuances majeures. Déjà, finies les prérogatives de la noblesse, la loi pénale est la même pour tous. Et surtout, fini les supplices : la peine capitale n’est pas appliquée pour faire souffrir, mais pour tuer vite et sans douleur. La peine de mort n’est plus que « la simple privation de la vie ».
— Ah bon ben ça va.
— Tu préfères te faire briser les os à coups de barre à mine avant de sécher au soleil sur une roue de charrette ?
— Je crois que je vois où tu veux en venir.
— Voilà. Sans trop s’attarder sur un engin dont on a déjà beaucoup parlé ici, la solution technique, c’est la guillotine…
— … du docteur Guillotin.
— Non. Enfin si, c’est bien le médecin et député Guillotin qui présente les mérites de la machine à ses estimés collègues de la Constituante, mais c’est un confrère chirurgien, le docteur Antoine Louis[1], qui a conçu la guillotine, d’où un autre surnom un poil oublié, la Louison. Son principe, c’est une mort instantanée. Ce jour-là, Guillotin promet : « je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point. La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus ». La Révolution peut se vanter d’avoir inventé « le plus doux des moyens mortifères », pour citer les frères Goncourt.
— On/Off.
Mort. Pas mort. Mort. Pas m… Ah merde si.
— Voilà. La mort, d’accord, mais pas la torture. La peine capitale doit et peut devenir indolore — sauf que.
— Sauf que quoi ?
— Sauf que ce n’est pas si simple.
...