Leni et les nazis

Au début des années 30, la plus grande star du cinéma allemand ne vit plus à Berlin, mais aux États-Unis : Marlene Dietrich refuse de travailler pour le Reich. Sa principale rivale, Leni Riefenstahl, choisit elle de mettre son talent au service d’un régime qui lui déroule le tapis rouge — à croix gammée. Simple opportunisme ? Pas franchement.

Avant les Jeux d’été de 1936 à Berlin, il y eut ceux d’hiver à Garmisch-Partenkirchen, plus tôt dans l’année. Sorte de répétition générale avant l’été, les IVe Jeux d’hiver offrent au IIIe Reich une première occasion de tester la grande ambition du régime : d’un événement sportif, faire une offensive de charme à l’échelle planétaire. Le 17 février, le magazine américain Time consacre d’ailleurs sa couverture à celle qui doit filmer les jeux de Berlin à la demande d’Adolf Hitler en personne : Leni Riefenstahl. Sur l’image, la jeune femme est en plein effort, lancée sur ses skis dans une pente abrupte. Plus bas, le titre annonce : «Hitler’s Leni Riefenstahl», quelque chose comme «Leni Riefenstahl, la Leni de Hitler».

Personne ne fait du ski en maillot de bain, Leni.

La formule vise juste. La jeune femme n’a certes pas attendu l’arrivée d’Hitler au pouvoir pour faire carrière, mais celle qui se prépare à filmer les Jeux de Berlin est de fait devenue la réalisatrice quasi-officielle du IIIe Reich. Depuis 1934, la jeune femme assure la couverture de tous les grands événements du régime. Le Triomphe de la Volonté, sorti en mars 1935, a été réalisé sur ordre direct d’Hitler, très officiellement crédité au générique. Derrière une indéniable audace formelle, il relève incontestablement d’un cinéma de propagande pensée pour magnifier le congrès de Nuremberg de 1934, grand-messe à la gloire du régime, du parti et de son Führer.

Trente ans plus tard, la cinéaste a beau jeu de jouer le coup de la candeur en jurant ses grands dieux qu’elle avait «seulement montré ce dont tout le monde, alors, était témoin. Le pire était à venir, mais qui le savait?» En réalité, son compagnonnage avec le régime révèle une adhésion profonde, nette et durable.

Une fille de Berlin

Comme Marlene Dietrich, Leni Riefenstahl est une enfant du siècle. Les deux femmes sont nées à Berlin, la première en 1901, la seconde en 1902. Chacune a grandi pendant la guerre, et l’une comme l’autre est à peine adulte lorsque l’Allemagne s’effondre en 1918. Comme Dietrich, Riefenstahl se distingue par sa rare beauté; comme elle, elle se tourne vers le cinéma au milieu des années 20 — mais dans son cas, presque par dépit. Danseuse de formation, la jeune femme se blesse au genou en 1924 — pas assez gravement pour ne plus pouvoir danser, mais suffisamment pour renoncer à la carrière de ballerine dont elle rêvait.

Deux ans plus tard, son rôle dans La Montagne sacrée en fait une actrice incontournable sur la scène allemande. Riefenstahl multiplie les rôles dans un genre à la mode : le film de montagne. Le Grand SautTempête sur le mont BlancL’Ivresse blanche… Sa silhouette élancée, sa souplesse et son beau visage impassible font des merveilles à l’écran au point qu’au début des années 30, Leni Riefenstahl peut se vanter d’être une des rares stars allemandes de l’envergure de Marlene Dietrich. À cette date, rien ne la rattache encore à l’extrême droite allemande — au contraire : la jeune femme prend un temps sa carte au KPD, le parti communiste allemand.

Oooooh mais qui est-ce qu’on aperçoit à la table.

Hors champ, l’actrice se distingue par un caractère bien trempé qui la pousse très vite à passer de l’autre côté de la caméra. Riefenstahl n’a pas la moindre intention de se laisser enfermer dans un statut de sex-symbol, comme Greta Garbo ou Jean Harlow. Pas question non plus de perdre le contrôle de son travail : à peine maitrise-t-elle les bases de la réalisation que Riefenstahl fonde sa propre société de production pour tourner son premier film, Das blaue Licht (La Lumière bleue), co-écrit et co-réalisé avec deux cinéastes juifs, Béla Balázs et Carl Mayer – deux noms qui soigneusement virés du générique quelques années plus tard par les nouveaux amis de Leni : les nazis.

...

En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

Par En Marge

Les derniers articles publiés