- Allez, dis-moi tout.
- Euh, ça risque d’être long.
- Non, mais, dis-moi ce qui ne va pas.
- Ca va prendre un certain temps aussi.
- Ah, ça suffit, qu’est-ce qui te chagrine ?
- Veux-tu bien me poser des questions auxquelles je peux répondre en moins de trois heures ?!
- Oh comme je connais cette façade bravache et cette façon de te retrancher derrière la barricade factice d’une désinvolture artificielle que tu combines avec ton physique granitique et stoïque pour te donner l’image inflexible et…inconfortablement troublante du roc insensible aux événements. Cesse ce petit jeu avec moi.
- Oooookayy, je ne sais pas ce que tu as pris mais c’est puissant. Je vais prétendre n’avoir rien entendu et on va oublier l’existence de cet échange, si tu veux bien.
- Mais arrête à la fin, je sais tu ne vas pas bien ! J’ai vu la liste de tes courses.
- Et tu as ainsi pu constater que je suis allé au rayon alimentaire du supermarché, pas au comptoir antidépresseur de la pharmacie.
- Ah oui, et ça c’est quoi, hein ?
- Mon Dieu, oui, j’avoue, je craque, je reconnais, je confesse, j’ai…pris de la glace. Passque ça m’a fait envie et qu’ils avaient reconstitué les stocks de parfum calissons et marrons glacés. Tu cherches à prouver quoi, exactement ? Parce que si tu veux me faire culpabiliser, on va parler de ta razzia au rayon boul…
- Ne change pas de sujet ! C’est bien ce que je disais, tu es déprimé.
- Je suis…parce que j’ai acheté de la glace ?
- Précisément. Ne fais pas l’innocent, tout le monde sait, quand on se met à manger des glaces c’est que ça ne va pas. Je peux même dire avec une grande assurance que tu souffres d’une peine de cœur. Non non, inutile, ne nie pas. Tu as acheté deux bacs pour pouvoir les manger d’un coup en pleurant devant des comédies romantiques.
« Et tu vas encore me piquer mon peignoir de bain bordel ! »
- N’importe quoi. Bon, sauf la partie où je les mange en un coup. C’est, hum, probable. Mais n’importe quoi quand même, sinon. Je constate que ton esprit juvénile et malléable a une fois encore été colonisé par les clichés culturels américains.
- Mais, pfff, pas du tout.
- Note que je peux le comprendre dans une certaine mesure. C’est qu’ils ont un vrai problème avec la glace, nos distants voisins d’outre-Atlantique.
- Tu ne peux pas dire ça. Ils ont un problème avec TOUTE la nourriture.
- C’est vrai. Mais la glace, quand même… Aimer ça, c’est une chose, mais de là à prendre le risque de couler ou à transformer un bombardier en turbine à glace volante, quand même.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ?
- Celle de la relation un rien déséquilibrée entre les Etats-Unis et le lait et le sucre passés au congélateur. Et je précise d’emblée que s’il m’arrive dans ce qui suit de parler de « glace » par facilité de langage, il sera en réalité question de crème glacée, pas de sorbets ou de glaces à l’eau. Parce que l’eau tu comprends c’est sans sucre, sans graisse, sain, et pour le dire simplement en un mot anti-américain.
- Une entrave à la liberté. Beurk.
...