En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

L’Histoire, c'est certes l’affaire de savants spécialistes qui plongent des archives qui font éternuer. Mais c'est aussi le petit détail qui a le don de faire sourire deux gugusses dans notre genre. Ici, on se raconte les petites histoires qu'on trouve dans les marges. Et soit vous n'en avez jamais entendu parler, soit vous ne savez pas tout.

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Par En Marge
24 mai · 11 mn à lire
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Si mon oncle d’Amérique en avait, on l’appellerait Thérèse

Où nous faisons oeuvre de justice et rendons à une pionnière française sa juste place dans l'histoire. Des arnaques.

- Bon, je crois que maintenant on peut commencer.

- Pardon ? Faut qu’on commence un truc ? Je suis pas prêt, j’ai pas eu le temps de m’échauffer m’sieur.

- Ne t’inquiète pas, pas la peine de me faire un mot. Tu ne risques pas le claquage.

- Parfait, je ne sais pas de quoi on parle mais c’est le genre d’activité qui me convient. Cela dit, quand même, de quoi on parle ?

- Eh bien je crois qu’on peut commencer à sélectionner des prétendants au titre.

- Quel titre ?

- Le titre « du siècle ». Tu sais, l’événement du siècle, quel que soit le domaine : un orage, un match, un procès, un événement mondain…

Euh, pfff, si vous voulez.Euh, pfff, si vous voulez.

- Je vois, tu t’élèves contre ce sensationnalisme facile.

- N…enfin oui, mais je veux surtout dire que par définition, il faut sans doute attendre un peu avant de distribuer ce genre d’épithète. Si tu commences à appeler un machin « du siècle » alors que ce dernier n’a que quelques années, y’a des chances que ça ne vieillisse pas bien. Surtout, en admettant que ça se justifie, si le qualificatif est attribué trop vite, on risque de l’oublier. Et ça, c’est dommage.

- Je sens que tu penses à un exemple en particulier.

- Tout juste. « L’escroc du siècle », désigné comme tel dès 1903. Non seulement une histoire édifiante, mais une authentique invention nationale, qui a connu et connaît encore un beau succès à travers le monde, mais dont la parenté a honteusement été rattachée à quelqu'un d’autre, bien après. Et le souvenir de notre pionnier français s’est volatilisé. A l’exception peut-être d’une expression.

- Réparons ça. Présente-moi donc ce truand.

- Ah non. Cette tru…ande ? Escroque ? Appelons-là Thérèse.

- Ce sera mieux.

- Thérèse Daurignac nait le 10 septembre 1855 à Aussonne, en Haute-Garonne. Son père, Guillaume, a été abandonné à la naissance en 1801, et élevé par la municipalité puis un prêtre. Près de 40 ans plus tard, il est reconnu par la femme d’un horloger. Il épouse la fille d’un fermier fortuné, ce qui lui permet d’acheter une petite propriété, un petit castel. Il prétend dès lors être comte d’Aurignac.

- Une petite apostrophe ne fait pas de mal.

- Mais oui, et puis qu’est-ce que c’est qu’une apostrophe, hein ? Monsieur Daurignac/D’Aurignac a au moins quatre enfants, deux filles et deux garçons, et mène plusieurs…activités. Il ouvre une agence matrimoniale, et dans le même temps il prétend être une forme d’alchimiste.

- C’est un peu la même chose.

- Uh, ça se tient. Il est aussi un sorcier, capable de contrôler le temps. Au sens de la météo. Il a l’habitude de se balader dehors avec une baguette pendant les orages, en tentant de convaincre les paysans de le payer pour avoir des conditions favorables. Il réussit à récupérer trois poules et quelques œufs, mais pas plus.

- C’est toujours ça.

- Certes, mais ça n’est pas avec ça que monsieur le comte va rembourser ses dettes.

- Le comte n’y est pas.

- Exactement. Alors il fait courir ses créanciers en leur expliquant qu’il attend un héritage très important d’un parent qui a fait fortune en Amérique.

- Le fameux oncle d’Amérique.

- Tout juste. Qu’est-ce que tu crois, l’expression vient bien de quelque part. Et la famille Daurignac n’est certainement pas pour rien dans sa postérité. Mais évidemment, le transfert des fonds prend beeeaaaaaaucoup de temps, parce que c’est un héritage, qu’il y a contestations et procédures, et que voulez-vous la justice c’est long.

- Ce qui est difficilement contestable.

- C’est un argument qui porte. Et puis imagine si en plus les sous arrivent par le bateau et le train. Et quand les créanciers deviennent un peu trop impatients/insistants, le père Daurignac agite sous leur nez une liasse de documents censés prouver ses dires et ses prétentions à la fortune américaine.

- Le grand numéro.

- Oui, autant dire que la jeune Thérèse est à bonne école. C’est une baratineuse née, dotée d’un réel talent pour l’affabulation spontanée, et qui saura retenir les leçons de papa. A 23 ans, elle travaille comme blanchisseuse. Elle met ses bijoux et toilettes en commun avec des amies pour qu’elles puissent apparaître sous leur meilleur jour et attirer des partis intéressants.

- Allons, c’est plus de la débrouille entre copines que de l’arnaque.

- Je te l’accorde.

La combine a depuis été reprise par des gens très bi…ok, faut quand même se méfier, hein.La combine a depuis été reprise par des gens très bi…ok, faut quand même se méfier, hein.

D’une manière ou d’une autre, Thérèse rencontre et séduit Frédéric Humbert. Il a deux ans de moins qu’elle, et fait ses études à la fac de droit.

- C’est bien connu, la fac de droit c’est pour devenir avocat ou trouver un mari.

- Thérèse a des envies de robes, mais un peu plus luxueuses.

- J’en conclus que le jeune Frédéric est prometteur.

- De fait, le garçon a des atouts. A savoir essentiellement son père, Gustave.

- Connais pas.

- Tu as des lacunes en histoire politique du Sud-Ouest au début de la 3e République. Non seulement Gustave Humbert est un magistrat de haute volée, puisqu’il vient d’être nommé procureur général près la Cour des Comptes, mais il a également été élu député de la Haute Garonne, puis sénateur inamovible.

Je suis sûr qu’avec son portrait ça vous revient tout de suite.Je suis sûr qu’avec son portrait ça vous revient tout de suite.

- Ca existe les sénateurs amovibles ?

- Mmm, bonne question.

- Belle prise pour une lavandière, si je puis m’exprimer ainsi.

- On raconte que pour se rendre plus attirante, Thérèse feintait un zozotement. Ne me demande pas, c’est une autre époque. Le jeune godelureau a peut-être également été embobiné par ses histoires.

- Du genre ?

- Papa Gustave n’est pas particulièrement emballé à l’idée d’avoir Thérèse pour bru, en dépit de son cheveu sur la langue.

- Il est bien difficile.

- Je trouve aussi. Elle commence donc à raconter qu’elle est l’unique héritière d’une cousine évidemment riche et châtelaine, propriétaire du château de Marcotte dans le Gers. Et qui coup de bol à la santé fragile et n’est plus guère vaillante.

- Coup de bol, coup de bol, je ne suis pas sûr que la cousine soit d’accord.

- N’aies pas de scrupule : la cousine, son pécule, et son château sont du flan. Tu es aussi propriétaire du château de Marcotte que moi. Ou elle, en l’occurrence. Toujours est-il que Thérèse réussit à convaincre sa future belle-famille de consentir à l’union, et Frédéric et elle se marient en 1878. Le jeune époux découvre assez rapidement le pot-aux-roses, mais plutôt que d’en vouloir à celle qui l’a un rien embobiné, il en devient le complice admiratif.

- C’est le miracle de l’amuuur.

- Permets-moi d’avoir un petit doute. Les jeunes époux s’installent à Paris, mais les moyens du couple sont encore assez modestes, et ça ce n’est pas du goût de Thérèse. Elle veut plus, et son credo est que ce qu’elle veut, elle l’a. Elle a certainement réussi ce que l’on peut qualifier de bon mariage, mais elle ne compte pas s’arrêter là. Elle fait donc une rencontre.

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