En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

L’Histoire, c'est certes l’affaire de savants spécialistes qui plongent des archives qui font éternuer. Mais c'est aussi le petit détail qui a le don de faire sourire deux gugusses dans notre genre. Ici, on se raconte les petites histoires qu'on trouve dans les marges. Et soit vous n'en avez jamais entendu parler, soit vous ne savez pas tout.

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Par En Marge
25 avr. · 9 mn à lire
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L’espion qui venait...de la plage

Où l'on vous raconte une de ses histoires comme on les aime, celle d'un individu qui a à lui tout seul été un rouage essentiel d'un événement historique majeur, et dont on n'es prêts à parier que vous n'avez jamais entendu parler. Pearl Harbor, vous connaissez ? Bien. Et le petit gars qui a préparé l'attaque ? Voilà.

- Allez.

- Non.

- Alleeeeeeez…

- Nooooooon…

- Alleeeez-heu !

- Noooon-heu !

- Mais enfin, pourquoi ?

- Tu me poses sérieusement la question ?

- Le plus sérieusement du monde, oui.

- D’accord, alors je vais relire ta requête formelle, pour qu’on soit bien sûr de parler de la même chose : demande auprès d’En Marge Inc. pour la prise en charge de tous les frais afférents à un grand reportage à Hawaï, principalement sur l’île d’Oahu, incluant notamment de nombreuses reconnaissances en mer et depuis les plages. Dis donc Tintin, sans vouloir te vexer et si tu veux bien me passer l’expression, est-ce que tu serais pas un petit peu en train de te payer ma fiole ?

- Mais pas du tout. C’est pour creuser un sujet très sérieux.

- Ah, oui. Bien sûr. Et puis après tu mets ce que tu as creusé dans un seau et tu fais des châteaux de sable en peaufinant ton bronzage pendant que j’allonge l’oseille ?

- Je suis outré que tu puisses ainsi remettre en cause mon intégrité professionnelle. Outré.

- Ca va m’empêcher de dormir. Juste par curiosité, c’est quoi ton sujet sérieux, mmh ? Une enquête comparative sur les marques de wax les plus efficaces, comment ne pas perdre son short de bain dans les coraux, les dernières tendances en matière de combinaison pour surfer ans avoir froid ?

- Pfff, n’importe quoi, l’eau est jamais à moins de 23°C, on n’a pas besoin de combi pour…

- Merci d’apporter une bonne grosse vague à mon moulin. Si tu penses pouvoir de payer des vacances aux frais de la princesse, c’est non.

- Eh ben elle est pas généreuse la princesse.

- Elle doit payer le chauffage, parce qu’elle ne vit pas sous les tropiques, elle. Reviens me voir quand tu auras un vrai sujet sérieux sur la planche. Hé hé, la planche de surf.

- Ok. Qu’est-ce que tu dis de Pearl Harbor ?

- Pearl Harbor ? Comme l’attaque de Pearl Harbor ? L’offensive surprise de l’armée japonaise sur la flotte américaine du Pacifique qui a à la fois précipité les Etats-Unis dans la Seconde Guerre et sérieusement handicapé leurs capacités de riposte dans la région, au point de rester à ce jour la plus importante attaque militaire sur leur sol ?

- Oui, ce Pearl Harbor. Ca te paraît suffisamment sérieux ?

- Je peux difficilement dire non.

- Alors laisse-moi te parler de l’homme qui a joué un rôle crucial dans la préparation de cette attaque, et sans qui elle n’aurait certainement pas été aussi dévastatrice. Un petit gars envoyé tout seul mener une mission d’espionnage pour laquelle il n’était pas formé, et qui l’a si bien réussie que ses compatriotes lui en ont voulu.

- Tu as toute mon attention.

- Notre homme s’appelle Takeo Yoshikawa. Il nait le 7 mars 1912 dans une famille japonaise modeste, et intègre l’Ecole navale. Il est diplômé en 1933, en finissant dans les meilleurs de sa classe, et sert quelque temps à bord d’un croiseur et d’un sous-marin. Malheureusement, il souffre de sévères problèmes d’estomac, peut-être causés par sa consommation d’alcool, qui l’obligent à abandonner tout service d’active. Ce qu’il ne vit pas particulièrement bien, il racontera qu’il a envisagé le suicide. Il ne passe cependant pas à l’acte, et est versé au renseignement.

Il a le physique, il picole. C’est déjà la moitié d’un espion.Il a le physique, il picole. C’est déjà la moitié d’un espion. - Cela dit s’il a toujours envie de se suicider dans quelques années, il pourra toujours le faire en restant dans l’armée.

- Oui ben en attendant il a pour mission de se spécialiser dans la flotte américaine. Il en acquiert une connaissance académique, et devient l’expert de référence de l‘état-major nippon quand il s’agit de la Navy. Il racontera plus tard qu’il connaissait le nom, le matricule, et les caractéristiques techniques de chaque bâtiment et avion de la flotte US. Ainsi que de nombreux renseignements sur les bases de Guam, Manille, et Pearl Harbor.

- Le prototype du spécialiste de bureau.

- Et pourtant… A l’orée des années 40, les relations entre les Etats-Unis et le Japon se sont sensiblement dégradées, résultat de la politique expansionniste de l’Empire et de son invasion en Chine. Les avoirs japonais aux Etats-Unis ont été gelés, les exports de pétrole et de matériel militaire ont été suspendus, et le QG de la flotte du Pacifique a été déplacé de la Californie à Hawaï.

- Soit significativement plus près du Japon.

- Indubitablement. La condition à la levée des sanctions était un retrait du Japon de la Chine et de l’Asie du Sud-Est en général. Et ça, c’est non. Par conséquent, en août 1940, Takeo reçoit l’ordre de se préparer à mener une mission de renseignement sur le terrain, à Hawaï. Cependant la préparation en question ne comprendra aucun entrainement ni aucune formation au métier d’espion. Et sur place il ne bénéficiera pas de l’appui du réseau local de renseignement japonais, parce que le réseau ce sera lui. Il n’y en a pas. Il sera le seul espion sur l’archipel, et seul le consul général, Nagao Kita, sera informé de la réalité de sa mission.

- Attends, c’est quand même pas nouveau que les Américains aient une base navale à Hawaï, et les Japonais n’ont pas pensé à y implanter quelques sources de renseignements ?

- Alors, si. Mais c’est pas probant. Il y a famille Kuehn.

- Kuehn ? Ils sont bien camouflés pour des Japonais.

- Précisément, ils ne le sont pas. Bernard Julius Otto Kuehn est un Allemand. Il a servi dans la marine pendant la Première Guerre, avant de devenir médecin. Je ne peux pas juger de ses aptitudes professionnelles, mais son cabinet périclite.

- J’aurais tendance à penser qu’il faut le chercher un peu.

- Mais pas du tout ! Lui a une tout autre explication : c’est la faute des Juifs.

- Ah. J’imagine qu’ils devaient empêcher les malades de venir le consulter.

- Toujours est-il qu’il rejoint sans surprise le parti nazi, et parvient même à nouer des liens avec Goebbels. Il ne serait pas le seul, d’ailleurs.

- A avoir des liens avec Goebbels ? Non, certainement pas.

- Le seul de sa famille, je veux dire. On dit que la fille de Kuehn, la jeune Susie alors âgée de 17 ans, serait devenue l’amante de Goebbels. Or en 1935, il se trouve que les Japonais sollicitent leurs amis germains pour disposer justement d’une source de renseignements à Hawaï. Goebbels propose donc à Kuehn de s’installer sur place et d’y récolter des informations sur les forces américaines. Il est rattaché à l’Abwehr, le renseignement militaire, détaché auprès des Japonais. En août 1935, Bernard Kuehn débarque donc à Honolulu, sans avoir reçu aucune formation particulière à l’espionnage.

- Décidément. C’est une pratique de l’Axe d’envoyer des agents sur le terrain sans les préparer ?

- Je ne sais pas. Peut-être qu’ils sont plus pressés de rejoindre leur poste quand c’est à Hawaî. Moi je trouve que ça se tient.

- Ca m’étonne de ta part…

- En tout état de cause, Kuehn est à pied d’œuvre, et il met toute sa petite famille sur le coup. Lui observe les allers et venues des navires militaires depuis sa maison qui donne sur la baie. Susie ouvre un salon de beauté où elle recueille les commérages des femmes de militaires, et sur son temps libre elle flirte avec des soldats.

Elle doit certainement user de techniques très pointues pour leur soutirer des infos.Elle doit certainement user de techniques très pointues pour leur soutirer des infos. Hans, 11 ans, est habillé en petit matelot et lui et son père vont se promener sur les quais. Il s’intéresse aux bateaux et pose aux marins qu’il croise des questions apprises de son paternel. Il est même invité à plusieurs reprises à monter à bord, et quand il redescend il raconte tout ce qu’il a vu à Papa. Enfin Frau Friedel compile tous les renseignements collectés par la famille, et ils sont ensuite communiqués au consulat japonais. Qui doit se rendre à l’évidence : ils ne sont pas particulièrement bons. Rien de très exploitable.

- Ce manque d’efficacité de la part de toute une communauté allemande me navre.

- C’est à n’y rien comprendre. Mais ça explique que les Japonais ressentent le besoin de renforcer un peu leur renseignement sur place. Takeo Yoshikawa se pointe donc à Honolulu le 27 mars 1941 sous le nom de Tadashi Morimura, un jeune diplomate qui vient travailler pour le vice-consul. A son arrivée, le consul l’emmène dans un restaurant/maison de thé japonais, le Shuncho-ro (marée de printemps), qui surplombe la baie de Pearl Harbor.

- C’est pas mal, ça.

- Mieux encore, le Shuncho-ro dispose d’une salle privative au deuxième étage, avec une vue idéale sur la base militaire. Elle est même équipée d’un télescope. La patronne du restaurant vient de la même province de Yoshikawa, et est tout à fait disposée à lui réserver l’accès la salle quand il veut.

- Elle est bien obligeante.

- En parallèle, Bernard Kuehn prend contact avec Takeo à son arrivée, et lui transmet ses informations. Mais ça ne va décidément pas loin, il va vraiment falloir qu’il compte avant tout sur lui. Coup de chance pour Yoshikawa, la base de Pearl Harbor n’est pas une installation militaire recluse et isolée à l’accès difficile. Elle fait partie du complexe portuaire d’Honolulu, logiquement le plus important de l’état. Par ailleurs, il est facile pour un citoyen japonais de se fondre dans la population hawaïenne, qui compte de nombreux habitants aux origines nippones.

Pour l’illustrer, prenons au hasard l’exemple d’Alessa Quizon.Pour l’illustrer, prenons au hasard l’exemple d’Alessa Quizon.- Alors qu’un Allemand pourrait passer pour un Américain mais se fait tout de suite repérer par ses choix vestimentaires…audacieux.

- A tous les coups. Il est donc simple pour Takeo de se balader à proximité des installations militaires sans attirer particulièrement l’attention. Sans compter que c’est pas comme s’il n’y avait pas de touristes à Honolulu. Yoshkawa est donc en mesure de voir un maximum de choses et de récolter beaucoup d’information depuis sa salle d’observation du Shuncho-ro, et puis en se baladant sur les collines qui environnent la baie. Il a également la possibilité d’aller à l’aérodrome et faire des vols au-dessus du secteur, pour observer les environs, l’activité du port militaire, et les navires qui y stationnent. Il prend soin de ne pas visiter les mêmes lieux trop souvent ni trop fréquemment, et cela suffit à ce qu’il ne soit pas repéré. Selon le moment, il se fait passer pour un local qui vaque à ses occupations quotidiennes et professionnelles, un touriste qui fait le tour du coin, ou il emmène une des employées du restaurant ou du consulat pour un rencard. Il est également bon nageur, et va régulièrement piquer une tête dans le port, au besoin il s’équipe d’un tuba artisanal pour s’approcher un peu. Et puis de temps en temps il va à la pêche.

- Ce qu’il lui faudrait, c’est une activité nautique, pratiquée à proximité des plages, et suffisamment répandue à Hawaï pour qu’il se fonde dans la masse dans attirer l’attention.

- Je vois pas. Takeo essaie par ailleurs de recruter des Hawaïens américano-japonais pour se monter un réseau, sans rien leur révéler de la nature de sa mission, mais il n’obtient strictement aucun succès. Personne n’accepte. Il en conclut que leur loyauté va plutôt aux Etats-Unis. Ce qui est cruellement ironique sachant que l’une des premières conséquences de l’attaque de Pearl Harbor sera la décision de Roosevelt d’interner 114 000 Américano-Japonais pendant toute la durée de la guerre, de peur qu’ils soient des agents nippons. Aucun qu’aucun d’entre eux ne sera poursuivi pour espionnage.

- Pas le moment le plus glorieux des Etats-Unis.

- En soirée, Yoshikawa prend en auto-stop des soldats, et paie des coups dans des bars fréquentés par des militaires, pour récolter des informations supplémentaires.

« Le centre-ville. Et vite, j’ai rendez-vous avec une petite Allemande qu’a pas l’air farouche. »« Le centre-ville. Et vite, j’ai rendez-vous avec une petite Allemande qu’a pas l’air farouche. » Il ne manque pas non plus de récupérer tout ce qu’il peut auprès des hôtesses du Shuncho-ro, avec lesquelles les boys sont parfois plus loquaces. Enfin, en fin de soirée, il endosse la personnalité d’un poivrot et fouille les poubelles de bases militaires pour récupérer tous les documents qui peuvent y traîner.

- Il ne fait pas les choses à moitié.

- Non, il est pour le moins appliqué. En outre, il possède une très bonne mémoire, par conséquent il peut se permettre de ne prendre ni photos ni notes quand il mène ses repérages et observations, ce qui limite d’autant le risque qu’il se fasse repérer. Il est en mesure de retenir les matricules et emplacements des navires et avions, les horaires de leurs mouvements, ou la profondeur de différents secteurs de la baie, tout en gardant les mains dans les poches. Il n’emmène même pas de jumelles.

- Donc il passe inaperçu ?

- Oui D’autant plus que pendant ce temps, le contre-espionnage américain considère le consulat japonais d’Hawaï comme une cible d’intérêt mineur. Il y a eu quelques interceptions de câbles diplomatiques, mais ils ne contenaient que des informations de type économique et commercial, donc pas d’importance prioritaire dans le contexte. Il y a également eu des écoutes des téléphones du consulat, qui n’ont rien donné non plus. Peut-être bien parce que le personnel partait du principe qu’il était sans doute sous surveillance, et évitait donc les discussions sensibles au téléphone. Et puis les Japonais peuvent aussi compter sur le proverbial aveuglement du renseignement US quand le pays est sur le point de subir une attaque majeure.

- Comment ça ?

- En septembre 41, les Etats-Unis interceptent et parviennent à décoder un message de Tokyo au consulat d’Honolulu. Il demande à connaître la répartition des bâtiments américains dans les 5 secteurs entre lesquels a été divisée la zone de Pearl Harbor. Le message est cependant classé comme non-critique, et l’information n’est pas transférée aux autorités militaires à Hawaï. La réponse, établie grâce aux renseignements de Takeo, est également interceptée mais ne reçoit pas plus d’écho.

- Bien joué.

- Heureusement un truc pareil ne se reproduira plus pendant au moins 60 ans. Enfin, précisément 60 ans. Takeo est ainsi en mesure de fournir à la marine impériale des renseignements particulièrement utiles, sans lesquels l’attaque à venir aurait certainement été bien moins conséquente.

- Par exemple ?

- D’abord, il confirme Pearl Harbor comme site à viser prioritairement, et même exclusivement, pour une attaque. Il y a d’autres mouillages militaires, par exemple le port de Lahaina à Maui, mais Yoshikawa se rend sur place est en mesure de confirmer leur absence d’intérêt stratégique.

« Maui : aucun intérêt. Je répète, Maui : aucun intérêt. »« Maui : aucun intérêt. Je répète, Maui : aucun intérêt. » Il signale aussi à l’état-major que les patrouilles aériennes ne surveillent que peu le North Shore…

- Le quoi ?

- Le North Shore. Sunset, Off the wall, Waimea… Haleiwa ? Pipeline?!

- …

- Pffff, faudrait vraiment envisager un séminaire sur place.

-Bien sûr.

- La côte nord de l’île d’Oahu, celle d’Honolulu et de Pearl Harbor. C’est celle qui est la plus exposée aux grandes houles, par conséquent la mer y est souvent bien agitée et creuse, et les militaires américains considèrent qu’elle est donc trop grosse pour envisager une incursion par là.

 Franchement, personne n’irait s’aventurer dans un endroit pareil. Franchement, personne n’irait s’aventurer dans un endroit pareil. En vertu de quoi c’est exactement ce que feront les Japonais. Etape suivante, Takeo avertit Tokyo de la faible profondeur des eaux du port, qui exclut l’utilisation de torpilles classiques. Un modèle spécial est donc conçu pour les attaques dans un faible tirant d’eau. Tant qu’on y est, l’espion explique que les navires sont positionnés par paires, pour offrir une protection supplémentaire contre d’éventuelles attaques de torpilles. Ce qui conduit les stratèges impériaux à larguer des bombes perforantes depuis des bombardiers en piqué.

- Indéniablement du renseignement lourd.

- Enfin, Takeo indique que les navires sont en général envoyés en manœuvre le lundi, pour ne rentrer au port que le weekend. Et quand on lui demande quel jour précis il y a le plus de bâtiments stationnés au port, il répond que c’est le dimanche. L’offensive sera donc lancée le dimanche 7 décembre. Le samedi 6, Takeo adresse un rapport qui liste les navires à quai, signale que les porte-avions et croiseurs lourds ont quitté le port, et qu’aucune reconnaissance aérienne n’est en cours ni ne semble prévue. Il n’est pas informé de l’imminence de l’attaque, il ne sait pas quand ni même si elle sera lancée. Il admettra d’ailleurs plus tard qu’il aurait été tout à fait irresponsable de donner cette information cruciale à un agent de terrain et non indispensable. Il apprend que l’offensive est lancée quand il entend un message codé à la radio de Tokyo, qui signale entre autres au personnel consulaire qu’il est temps de faire le ménage.

- Pendant que la flotte japonaise fait de son côté le ménage par le vide dans la baie de Pearl Harbor.

- Effectivement. Le 7 décembre est le fameux « jour d’infamie » pour les Américains. Grâce en particulier aux renseignements de Yoshikawa, les Japonais sont en mesure de mener une attaque avec une force de 9 destroyers, 23 sous-marins, 2 croiseurs, et 6 porte-avions emportant plus de 400 appareils, qui vient frapper le QG de la flotte américaine du Pacifique à plus de 6 000 km de ses bases. Pour les Américains, le bilan atteint 20 navires coulés, 180 avions détruits et près de 159 endommagés, et l’aérodrome militaire est totalement impraticable. Il y a plus de 2 400 morts et près de 1 200 blessés.

Et un film de Michael Bay. Terrible.Et un film de Michael Bay. Terrible. A l’inverse, les attaquants ont perdu 29 avions et 5 sous-marins, pour 64 morts et 1 prisonnier.

- Je sens que le consulat d’Honolulu va d’un coup devenir une cible plus importante pour les Américains.

- Tu m’étonnes. Le FBI mène immédiatement une perquisition au consulat, et arrête tout le personnel. Cependant Yoshikawa a eu le temps de détruire tous les documents compromettants, et il est incarcéré comme ses collègues, ni plus ni moins, à San Diego jusqu’en mars, puis en Arizona. Dans le cadre d’un échange organisé en août 1942, il retourne au Japon qui rend de la même façon aux Etats-Unis tous leurs diplomates qui étaient stationnés sur l’archipel.

- Et les Kuehn ?

- L’une des dernières tâches de Takeo à Hawaï avant l’attaque a été de briefer Kuehn pour que celui-ci reprenne le flambeau si/quand une attaque contre les Etats-Unis est lancée et que le consulat ferme. Yoshikawa lui remet notamment une enveloppe de 14 000 dollars pour continuer son boulot, mais il n’aura pas le temps d’en profiter.

- Pourquoi ?

- Bernard Kuehn a été repéré dès 1939 par le FBI, qui le considère comme suspect, entre autres choses parce qu’il n’a pas de sources de revenus connues, mais semble néanmoins mener une vie plutôt confortable.

« Y’a un truc qui va pas chez lui, je le sens. »« Y’a un truc qui va pas chez lui, je le sens. » Cependant les enquêteurs ne trouvent aucune preuve de son activité. Heureusement pour les Américains, Kuehn n’est pas particulièrement une flèche. Il est repéré en train d’envoyer des messages lumineux à Yoshikawa pendant l’attaque de Pearl Harbor. Toute la famille est arrêtée le 21 février 42. Bernard Kuehn est condamné à mort, mais la peine est commuée en détention quand il livre des informations sur les réseaux d’espionnage allemands et japonais. Sa femme et sa fille sont également emprisonnées. La famille est expulsée en Allemagne en 48.

- Et Takeo ?

- Une fois de retour au Japon, il continue à travailler pour le renseignement naval jusqu’à la fin de la guerre. Au moment de la reddition, il se cache en se faisant passer pour un moine, de peur d’être arrêté par les occupants américains si jamais ils apprennent son rôle dans l’attaque de Pearl Harbor.

« Il est bizarre ce nouveau monastère, non ? »« Il est bizarre ce nouveau monastère, non ? » Yoshikawa reste planqué jusqu’à la fin de l’occupation en 1952, puis rejoint sa famille. En 1953, un officier supérieur de la Marine impériale le désigne nommément et raconte son rôle dans une interview avec un journal japonais.

- Ah. Bon ben au moins ses mérites vont pouvoir être reconnus.

- Que dalle. Ca ne lui attire pas particulièrement la reconnaissance de ses compatriotes, au contraire. Il a contribué à lancer la guerre qui a tant coûté au pays, beaucoup le lui reprochent et certains vont jusqu’à lui imputer la responsabilité des bombardements atomiques.

- Ah ben oui, c’est clairement de sa faute.

- En 1955, Kateo ouvre un magasin de bonbons. Qui fait faillite. Il n’arrive pas retrouver du boulot, personne ne veut de lui. Il survit grâce au salaire de sa femme, courtière en assurance. Il ne reçoit aucune forme de reconnaissance de la part de l’armée, et quand il demande à bénéficier d’une pension pour son service, elle est refusée. Il picole, est amer et on peut le comprendre, et il meurt à l’hospice, fauché, en 1993.

- C’est ingrat, le renseignement.

- Bon, et donc ?

- Donc quoi ?

- Ben, mon grand reportage ?

- Je ne vois pas ce que tu pourrais apprendre de plus sur place. Refusé.

- C’est ingrat, le renseignement.