En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

L’Histoire, c'est certes l’affaire de savants spécialistes qui plongent des archives qui font éternuer. Mais c'est aussi le petit détail qui a le don de faire sourire deux gugusses dans notre genre. Ici, on se raconte les petites histoires qu'on trouve dans les marges. Et soit vous n'en avez jamais entendu parler, soit vous ne savez pas tout.

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Par En Marge
26 mars · 10 mn à lire
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Chauve-souris de papier

Où l'on découvre que le combat aérien comprend une bonne part d'esbrouffe et d'intox, avec l'histoire d'un engin qui a fait figure d'épouvantail volant pendant des années alors que c'était une coquille vide.

- Non, écoute, vraiment je ne suis pas sûr que…

- Mais si, tu vas voir. Ca va être amusant.

- Je nous connais, ça peut durer des heures.

- Eh ben ça va être amusant pendant des heures. Ca tombe bien, on a de la route.

- J’ai un doute.

- Moi je n’en ai aucun, j’en ai marre du jeu des plaques d’immatriculation, voilà. Donc on passe à autre chose.

- Ecouter de la musique ? La radio ? Regarder le paysage ?

- Nan. Et puis en tant que passager c’est de ta responsabilité d’éviter que je m’ennuie et finisse par somnoler.

- Bon. Ok. D’accord.

- Parfait. Je commence. Vrai ou faux, les Américains ont fait piloter un prototype de nouvel avion de chasse par un gorille ?

- Quoi ? Ben, quand même… On parle du vrai avion, pas une simulation ?

- Le vrai.

- Alors non, faux, faut pas pousser.

- Eh ben…pas tout à fait. C’est un peu vrai.

- Comment ça « un peu vrai ». Le jeu c’est vrai ou faux, c’est simple, c’est tranché, et à peine on commence tu me sors des « un peu vrai » ! Et comment ça c’est un peu vrai, d’abord ?

- Ca remonte à la Seconde Guerre mondiale. A partir de septembre 1942, les Etats-Unis commencent à tester un nouveau prototype d’avion sur la base californienne de Muroc. Attention, un prototype encore plus secret que d’habitude, parce qu’il s’agit d’un avion à réaction, le P-59 Airacomet. Les Allemands et les Britanniques travaillent déjà sur cette technologie, mais pour les Américains c’est une première. C’est du top top secret. Personne ne doit connaître l’existence de ce projet.

Admirez cette photo d’un ciel dégagé et totalement vide.Admirez cette photo d’un ciel dégagé et totalement vide.

- Ca se traduit comment ?

- L’idée est que même le personnel de la base, en dehors de l’équipe restreinte en charge des essais, ne doit pas être au courant. Par conséquent, quand on sort le P-59 et qu’on le déplace sur la base, le corps de l’appareil est caché sous des tentures, et on prend la peine de fixer une fausse hélice sur son nez. Mais évidemment, ça ne marche plus quand il s’agit de le faire voler.

- Ce qui constitue, de ce que j’ai entendu, une partie importante des essais.

- Les ingénieurs y tiennent, effectivement. Alors le pilote d’essai Jack Woolams décide d’en rajouter. Il se rend dans un magasin de déguisement, et se procure un costume de gorille, un chapeau melon, et un faux cigare. Et il porte tout ça pendant ses vols.

Evidemment, il ne prend son cigare qu’après la phase de décollage. La sécurité d’abord.Evidemment, il ne prend son cigare qu’après la phase de décollage. La sécurité d’abord.

- Pardon ?

- L’idée c’est que les autres pilotes qui ont le croiser pendant ses vols, et qui iraient le répéter, ne seront pas crus. Parce que « j’ai vu un avion qui volait sans hélice », bon, d’accord, mais « piloté par un gorille avec un chapeau et un cigare », non. En fait, ceux qui faisaient effectivement part de leurs observations étaient adressés au psychologue de la base. Or ce dernier était dans le coup, et leur faisait remarquer à quel point cette histoire d’avions sans hélice piloté par un gorille était ridicule, sérieusement, vous devriez prendre quelques jours pour vous reposer. Je te laisse imaginer leur réaction.

- Amusant. Pour être honnête, j’ai quand même des doutes sur l’efficacité.

- Moi aussi. L’anecdote est authentique, mais je ne sais pas si ça a vraiment contribué au secret autour du P-59. En revanche la tradition de l’esbroufe et de l’intox dans le domaine de l’aéronautique militaire, elle, elle est bien établie et elle a eu des conséquences tout à fait majeures dans les années qui ont suivi.

- De quoi tu parles ?

- De l’avion qui a été conçu pour contrer un avion qui a été conçu pour contrer un avion qui n’a jamais existé.

- Tu veux bien me le refaire plus lentement ?

- Je vais même te le refaire en détail. On est quelques années plus tard, en 1965. Inutile de préciser qu’entre-temps les avions à réaction se sont multipliés, et que les deux blocs qui se font face pendant la Guerre Froide en sont équipés. C’est alors que l’URSS commence à faire voler un nouveau prototype, le Ye-155. Il établit d’emblée un record de vitesse à 2 319 km/h, soit Mach 1,9.

- Presque deux fois la vitesse du son, quoi.

- Exactement. Et les performances du Ye-155 progressent par la suite. En 1967, l’armée US obtient des photos du nouvel engin lors d’une exhibition aérienne à Moscou. Il est officiellement dénommé MiG-25, mais l’OTAN lui assigne le nom de code Foxbat.

- La chauve-souris renard. Bizarre, comme bestiole.

- En fait de bestiole, c’est un monstre. Il possède des entrées d’air surdimensionnées et des ailes particulièrement grandes, ce qui laisse supposer une propulsion exceptionnellement performante et une grande manœuvrabilité. Plus que tout ce que l’Occident a en rayon à ce moment-là.

Je voyais pas ça comme ça, la chauve-souris renard.Je voyais pas ça comme ça, la chauve-souris renard.

- Ca doit coûter quelques heures de sommeil dans les états-majors.

- Effectivement, d’autant que le MiG-25 aligne plusieurs records de vitesse et d’altitude certifiés par la Fédération Aéronautique Internationale. Pour les Etats-Unis, ça signifie que la Chauve-souris Renard représente un danger pour l’Oiseau Noir.

- Euh, ça veut dire quoi, pour les gens qui n’écoutent plus Radio Londres à l’époque ?

- Que le MiG-25 Foxbat est immédiatement identifié comme une menace pour le SR-71 Blackbird, le fameux avion espion imaginé pour voler très vite et très haut.

Je ne dis pas qu’on risque de le confondre avec une corneille, mais c’est quand même une espèce d’oiseau, et il est noir.Je ne dis pas qu’on risque de le confondre avec une corneille, mais c’est quand même une espèce d’oiseau, et il est noir.

La vitesse maximale du Blackbird est Mach 3.3, pour un plafond à 26 km. Il est en développement au moment où le MiG-25  fait son apparition, puisqu’après des premiers vols en 1964 il rentre en service en 1968. Or en 1971, quatre MiG-25 sont déployés en Egypte et effectuent des vols au-dessus du territoire israélien. Plusieurs F-4 israéliens sont envoyés en interception, mais ils sont dépassés en termes de vitesse et d’altitude. Un MiG-25 est en effet flashé à Mach 3.2, soit plus de 3 920 km/h, à une altitude de plus de 24 km. Avec la capacité de monter à cette hauteur en moins de 4 minutes. Les vols de SR-71 au-dessus du bloc soviétique sont suspendus le temps d’évaluer la menace que représente le MiG.

- Bon, ben va falloir imaginer quelque chose pour se mettre au niveau.

- C’est ça, et l’apparition du MiG-25 relance de vives discussions au sein des théoriciens de la guerre aérienne aux Etats-Unis.

- Comment ça ?

- Au début des années 60, la communauté aéronautique militaire US est en plein débat sur le type d’avion dont l’armée a besoin. La théorie dominante est que les appareils légers et manœuvrables, idéaux pour le combat rapproché (dogfight), ont fait leur temps. Ce qu’il faut désormais privilégier, c’est la vitesse et la portée pour que les appareils soient avant tout des vecteurs de missiles. Qu’il s’agisse d’ailleurs de frapper des cibles au sol, ou de détruire la chasse adverse avec des roquettes autoguidées, capables de repérer et d’atteindre leur cible avant même qu’elle soit à portée de vue.

- L’avion qui va vite, loin, et balance des missiles. Ok, j’ai compris.

- C’est la philosophie qui aboutit à la conception d’appareils comme le F-4 ou le F-111, qui ne disposent même pas de canons et ne sont armés que de missiles. Cependant les premiers enseignements de la guerre du Vietnam viennent cruellement contredire ces idées. Les missiles sont bien moins efficaces que prévu, et en plus les règles d’engagement imposent aux pilotes d’identifier leur cible à vue. Or une fois qu’ils sont à cette distance, ces chasseurs sont incapables de se défendre efficacement en combat rapproché. Ils sont littéralement désarmés pour faire face à cette situation. D’où des pertes.

- Je suggère un changement d’approche.

- Tu n’es pas le seul. La Navy décide par conséquent de reconfigurer ses appareils pour les équiper de canons pour le combat rapproché, et histoire d’y former ses pilotes elle crée une école dédiée en 1969, la Navy Fighter Weapons School à Miramar en Californie. Elle accueille les meilleurs, non, les meilleurs des meilleurs pilotes, pour leur réapprendre l’art du dogfight. Et aussi gérer leurs problèmes avec l’autorité et les figures paternelles, ainsi que leur insubordination et incapacité à suivre les protocoles, leur enseigner comment travailler en équipe, les entraîner à jouer au volley-ball torse nu, ce genre de choses.

Ne pas attendre 30 ans pour s’intéresser à Jennifer…Ne pas attendre 30 ans pour s’intéresser à Jennifer…

- Attends, tu veux dire…Top Gun ?

- Tout à fait. Avant de sauver les cinémas, sa vocation première était de sauver les pilotes.

« Oui, alors, à ce sujet… »« Oui, alors, à ce sujet… »

Du côté de l’Air Force, la réaction consiste à contester les idées qui ont conduit à la conception des appareils de dernière génération.

- Ils veulent carrément de nouveaux zincs, si je comprends bien.

- C’est ça. Plusieurs officiers et analystes influents préconisent un retour à des appareils conçus pour le combat rapproché, ce qui implique en particulier qu’ils soient plus légers et manœuvrables, plutôt que principalement rapides, en mettant l’accent sur l’efficacité en combat aérien plutôt qu’en attaque au sol. Un appel à projet est lancé auprès des principaux contractants de l’Air Force dans ce sens en 1966. Les réponses ne correspondent cependant pas à ce qui était attendu, avec des projets qui restent encore très axés sur la vitesse et la portée. Or c’est sur ces entrefaites que le MiG-25 fait son apparition. D’où un nouveau changement de priorité : il faut un appareil qui soit supérieur au Foxbat, qui est très rapide, et lourd, mais également manœuvrable au vu de son envergure.

- La conduite de projets à coups de revirements, un grand bonheur.

- C’est la faute aux Rouges, que veux-tu. On reprend donc les différents projets soumis, et il se trouve qu’il y en a un qui présente un profil assez comparable au MiG-25. Il s’agit d’une proposition de McDonnell Douglas, qui allie manœuvrabilité et vitesse.

- Ben alors pourquoi ils ne l’ont pas retenu la première fois ?

- Parce que la facture était sensiblement au-dessus du budget visé. Oui, on parle de l’armée US en pleine Guerre Froide, et pourtant même elle n’a pas des fonds illimités. Cependant là il n’y a plus à mégoter, il faut un appareil pour contrer le MiG. Le projet du futur F-15 est donc validé en 1968, et le Congrès lui accorde un budget de plus d’un milliard de dollars.

- Faut ce qu’il faut.

- Le F-15 réalise son premier vol en 72. Il peut atteindre Mach 2.5 et un plafond de 20 km, avec la capacité de monter à la verticale en maintenant une vitesse supersonique. Tout en restant très manœuvrable et efficace en dogfight. Il est en outre équipé de canons, et de système d’acquisition et de verrouillage de cibles à la pointe de la technologie, ce qui lui permet d’attaquer des objectifs hors de portée visuelle. Il porte enfin des missiles air-air capables d’atteindre Mach 3.5 avec une portée de 140 km.

- La chasse à la Chauve-souris Renard est ouverte.

- C’est ça. Le F-15 rentre en service en 1976. Soit précisément au moment où on découvre le pot-aux-roses.

- C’est encore un nom de code ?

- Non. Le 6 septembre 1976, le lieutenant de l’Armée Rouge Viktor Belenko décolle pour un vol d’exercice de la base de Chuguyevka, dans le sud-est de la Russie à près de 500 km du Japon. Il est aux commandes d’un MiG-25 quasiment tout neuf puisqu’il est en service depuis 7 mois. Belenko ne croit plus trop à l’idéal soviétique, s’entend mal avec sa hiérarchie, et encore plus avec sa femme puisqu’ils ont en instance de divorce. Il compte donc faire défection et livrer son MiG aux Japonais.

« Elle peut avoir la maison, hors de question que je lui laisse le zinc ! »« Elle peut avoir la maison, hors de question que je lui laisse le zinc ! »

Belenko descend à 30 mètres, lance un appel de détresse, et coupe sa radio pour faire croire à sa base qu’il a eu un problème. Puis il fonce vers le Japon au ras des flots. Il cherche à rejoindre une base militaire d’Hokkaido, mais se perd un peu en chemin.

- Ah ben bravo le pilote d’élite.

- A l’approche du Japon, Belenko remonte à 20 000 pieds pour se faire repérer, mais les F-4 nippons ne sont pas en mesure de le rejoindre à temps pour l’escorter. Il repère un aéroport civil près de la ville d’Hakodate, évite de justesse un Boeing 727 en phase de décollage, et se pose. Enfin il essaie, même avec son parachute aérofrein la piste est trop courte et il finit plusieurs centaines de mètres dans l’herbe, en explosant un de ses pneus et en manquant d’allumer les équipements de l’aéroport.

- Non mais franchement, les gens qui débarquent chez toi comme ça, en plus en défonçant la porte…

- Il n’empêche qu’il est très bien accueilli, parce que pour les renseignements japonais, américains, et occidentaux en général, c’est Noël. Non seulement ils ont sous la main un pilote qui fait défection, c’est toujours bien, mais ils vont enfin pouvoir étudier de près ce foutu coucou qui leur donne des sueurs froides depuis une dizaine d’années. Belenko a même pris avec lui le manuel d’instruction du MiG-25, avec les spécifications et procédures d’utilisation !

- Mais, question bête, le Japon peut le garder ?

- Le pilote demande l’asile, il ne retournera donc pas dans le pays du prolétariat triomphant. En revanche l’appareil appartient à l’URSS et doit lui être rendu. C’est juste que…ça va prendre quelques semaines.

- Les formalités, tout ça.

- C’est ça, faut remplir des papiers, avoir des tampons... Et surtout désosser scrupuleusement la machine pour l’examiner sous toutes les coutures.

« C’est, euh, pour pas qu’il prenne la fuite. »« C’est, euh, pour pas qu’il prenne la fuite. »

Ce qu’il en ressort, c’est le redoutable Foxbat est plus un mythe qu’autre chose. La chauve-souris s’apparente au tigre de papier.

- Comment ça ?

- Le MiG-25 est très performant, mais dans un seul et unique domaine : aller très vite, très haut, et si possible en ligne droite. C’est tout sauf l’appareil agile et polyvalent, redoutable en combat rapproché, qui a angoissé l’OTAN pendant une dizaine d’années. En réalité, il a été conçu pour intercepter.

- Mais intercepter quoi ?

- Un autre appareil fantasmatique, c’est ça qui est beau ! Dans les années 50, l’US Air Force travaille au développement de bombardiers nucléaires volant tellement vite et haut qu’ils seraient virtuellement impossibles à arrêter pour les avions dont disposaient les Soviétiques. C’est le projet du XB-70 Valkyrie, et c’est précisément pour contrer cette menace que l’URSS se met à imaginer Ye-155.

« Il nous faut quelque chose capable d’arrêter ça, et il nous le faut POUR HIER ! »« Il nous faut quelque chose capable d’arrêter ça, et il nous le faut POUR HIER ! »

- Jusque-là c’est un jeu classique d’attaque/défense.

- Oui, sauf que le Valkyrie n’a jamais vu le jour, au-delà de deux prototypes. Le Congrès supprime les fonds pour le programme au début des années 60, mais les Soviétiques continuent sur leur lancée, en partant du principe que les Etats-Unis n’ont pas forcément abandonné l’idée elle-même. Ils conçoivent donc cet appareil qui doit monter vite et haut, c’est sa seule et unique mission.

- D’accord, il n’est pas polyvalent, mais si déjà il est efficace pour ça.

- Justement. Les ingénieurs soviétiques doivent faire avec les moyens dont ils disposent, qui ne sont (déjà) pas au niveau de ceux des Américains. Ils récupèrent des réacteurs conçus pour un projet de missile de croisière de haute altitude, et construisent leur avion autour. Au vu des vitesses recherchées, ce dernier va être soumis à des températures particulièrement élevées, à l’instar d’un Blackbird. Il faudrait donc recourir largement à du titanium, plus résistant que l’acier, pour une bonne partie des ailes et des réacteurs. Ca tombe bien, l’URSS dispose des principales réserves de minerai de titanium de la planète. Au point que même les Etats-Unis se fournissent là-bas via des filières détournées.

- J’en conclus que l’Union soviétique a tout ce dont elle a besoin.

- Sauf les technologies requises pour le manufacturer ce titanium. Ils ne savent pas faire. Donc le Foxbat est essentiellement construit en acier, avec des renforts en argent ou titanium uniquement sur les points exposés aux plus hautes températures, soit de l’ordre de 9 % de la structure totale. A noter que les ingénieurs soviétiques font preuve d’ingéniosité pour compenser leurs lacunes techniques, avec des techniques de soudure et rivetage manuelles particulièrement bien pensées.

- Parce que le socialisme permet l’épanouissement du travailleur là où le capitalisme l’enferme dans la répétition avilissante de tâches déshumanisées au service de la classe bourgeoise.

- Possible, mais il n’en reste pas moins que le recours à l’acier a pour conséquence d’alourdir considérablement la structure. C’est la raison pour laquelle le MiG-25 dispose d’une telle envergure. Il ne s’agit pas de lui conférer une manœuvrabilité de premier plan, mais tout simplement de lui permettre de voler. Il est incapable de dépasser 4.5 G en manœuvre (et encore, moins de 3 G quand les réservoirs sont pleins), là où le F-15 en atteint 9. Tu n’as pas besoin de connaître les détails pour comprendre qu’il est donc au moins moitié moins agile que le F-15. Si le MiG-25 tente des manœuvres trop serrées ou rapides, les supports de ses missiles risquent tout simplement de rompre.

- C’est pas la procédure recommandée pour les lâcher.

- Et ce n’est pas le seul truc qui risque de casser si on pousse un peu trop la machine. Tu te souviens du fameux MiG qui a atteint Mach 3.2 au-dessus d’Israël ?

- Je me souviens.

- Belenko révèle que les réacteurs ont tellement chauffé ce jour-là qu’ils ont manqué de se disloquer en vol, et ont dû être intégralement changés. Quant aux différents records détenus par le MiG, ils ont été réalisés par des prototypes dépouillés d’une bonne partie de leur équipement militaire et qui ne transportaient que le carburant nécessaire.

- Donc pas du tout des conditions de combat.

- Du tout, non. Autre défaut de cette conception : au vu du poids et de la puissance des réacteurs, le MiG-25 consomme beaucoup, et son autonomie est très sévèrement limitée.

- C’est quoi très sévèrement ?

- Selon Belenko, son rayon d’action est de l’ordre de 300 km.

- Je ne suis pas expert, mais ça me semble ridicule.

- C’est effectivement très peu. Belenko a d’ailleurs apporté la preuve de ce qu’il avance : en volant à très basse altitude et sans doute pas à sa vitesse maximale, dont pas en condition d’interception, il ne disposait plus après un trajet de moins de 500 km que de 30 secondes de vol dans ses réservoirs quand il s’est posé. Ce qui en passant représentait quand même plus de 230 litres de carburant.

- Ah, oui, gourmande la bête.

- Elle embarque 15 tonnes de kérosène.

« Leonid, allons, 30 litres au kilomètre ce n’est pas raisonnable. Vous avez pensé au train ? »« Leonid, allons, 30 litres au kilomètre ce n’est pas raisonnable. Vous avez pensé au train ? »

Sachant que même en étant conçu dans le seul et unique but de pouvoir intercepter des Valkyries, le MiG-25 était tout juste à la hauteur de sa mission. Les prototypes de XB-70 pouvaient voler jusqu’à Mach 3.1 et une altitude de 23.5 km. Contre Mach 3.2, on a vu avec quels risques pour les réacteurs, et un plafond de 24 km pour le Foxbat. Et ce pendant quelques minutes au plus. Belenko précise d’ailleurs que la vitesse opérationnelle d’interception retenue est bien plus modeste, soit Mach 2.5.

- La fenêtre d’interception aurait été étroite.

- Pour le moins. D’autant que ses armes principales étaient des missiles air-air d’une portée de 80 km, pour une vitesse de Mach 2.2. Le Valkyrie n’a jamais eu à s’en soucier, pour cause, mais en fait le Foxbat ne représente aucun danger non plus pour les Blackbirds. Dont les pilotes ont rapidement cessé de soucier des MiG-25 lancés occasionnellement à leur poursuite au-dessus de la Baltique, qui n’ont jamais réussi à s’en rapprocher à moins de 3 km et encore moins à leur tirer dessus.

- Je pense qu’on peut dire qu’on a légèrement surévalué la menace.

- En tout état de cause, ce qui est certain, c’est que le MiG-25 n’a jamais été un avion de combat rapproché. Il n’aurait en aucune façon été en mesure de rivaliser avec un F-15, ni même sans doute un de ses prédécesseurs, dans ce domaine. Une fois ses conclusions tirées, après deux mois d’examen minutieux, le MiG de Belenko est rendu à l’URSS. Par bateau, et dans une trentaine de containers.

« Amusez-vous bien, bisous. »« Amusez-vous bien, bisous. »

Le Japon demande 40 000 dollars de dédommagement pour les dégâts sur l’aérodrome et les frais de port, et l’URSS réclame de son côté 10 millions pour les dégradations. Au final personne ne paie rien. Quant à Viktor Belenko, il devient citoyen américain. Il a fait carrière comme ingénieur aéronautique.

- Entre nous, c’est un peu à se demander pourquoi les Soviétiques se  sont entêtés à produire ce machin.

- En fait, outre son usage propre, l’URSS a vendu un nombre significatif de MiG-25, à des pays de l’Est mais aussi des alliés tels que la Syrie, l’Irak, l’Algérie, ou la Lybie. Parce qu’il est plutôt efficace comme appareil de reconnaissance rapide, en fait. Ce n’est certes pas son objectif initial, mais une fois débarrassé de l’essentiel de ses systèmes de combat le MiG-25 est en mesure de voler plus vite et plus haut que la grande majorité des appareils susceptibles de lui donner la chasse. C’est la raison pour laquelle il reste en service jusqu’aux années 90.

- Il n’en reste pas moins que les Etats-Unis se sont lancés dans un grand et coûteux programme pour rien.

- Oui et non. Le F-15 a été conçu pour contrer une grande menace qui n’a jamais vraiment existé, c’est vrai. Pour autant il reste l’un des plus grands succès de l’aéronautique militaire des dernières décennies, avec des états de service absolument remarquables. Tu me diras que c’est logique, vu son cahier de charges.

- En effet.

- Et puis dernière chose, je suis à titre personnel convaincu que même Hollywood a réagi à la menace supposée du MiG-25.

- Comment ça ?

- Eh ben en 1982, est sorti un film qui repose sur l’idée que les Rouges ont mis au point l’avion de combat ultime, qui surclasse tout ce dont disposent les Etats-Unis dans tous les secteurs. Je ne te parle pas d’un avion très performant, on est plutôt dans le domaine du machin capable de gagner la guerre à lui tout seul.

- Mais alors, que faire ?!

- Acculée, le dos au mur, confrontée à la certitude d’une défaite totale, l’armée a alors recours à sa propre arme ultime : Clint Eastwood. Qui est envoyé en mission spéciale pour voler l’engin et le ramener à la maison. Outre l’idée de départ, j’ai tendance à penser que le titre du film, qui est le nom de l’avion, n’a pas été choisi au hasard.

« Est-ce que j’ai tiré mes 6 missiles, ou seulement 5 ? A vrai dire, j’ai un peu perdu le compte… »