En Marge, des histoires derrière l'Histoire. N'importe quoi, mais sérieusement.

L’Histoire, c'est certes l’affaire de savants spécialistes qui plongent des archives qui font éternuer. Mais c'est aussi le petit détail qui a le don de faire sourire deux gugusses dans notre genre. Ici, on se raconte les petites histoires qu'on trouve dans les marges. Et soit vous n'en avez jamais entendu parler, soit vous ne savez pas tout.

image_author_En_Marge
Par En Marge
21 déc. · 7 mn à lire
Partager cet article :

Portrait d’un homme d’Aktion

Où l'on se penche sur un sujet particulièrement joyeux pour les fêtes de fin d'année.

De l’hiver 1940 à l’été 1941, 70273 Allemands ont été tirés des asiles du Reich avant d’être assassinés dans une demi-douzaine de centres spécialisés, par le gaz ou par le poison. Baptisée Aktion T4, l’opération n’est pas le premier crime contre l’humanité à grande échelle par les nazis mais il préfigure les méthodes utilisées pour la Shoah. Derrière elle, un des proches d’Hitler : Karl Brandt.

Par un beau matin du printemps 1933, Karl Brandt – 29 ans à peine – a fort à faire pour suivre la voiture qui dévale les pentes des Alpes bavaroises devant lui. Connu pour son coup de volant agressif, le chauffeur d’Adolf Hitler descend plein gaz la route qui mène de la résidence secondaire du Führer, le Berghof, à Berchtesgaden. Soudain, la Mercedes du chancelier bascule dans le fossé ; le maître du Reich s’en tire comme une fleur mais le chef de sa garde personnelle, Wilhelm Brückner, ne peut pas en dire autant. Grièvement blessé, il ne doit son salut qu’à l’arrivée du Dr Brandt dont l’intervention lui sauve la vie. Marqué par le calme du jeune homme, le Führer en fait son médecin personnel l’année suivante.

Manque un stéthoscope, quand même.

Pour le trentenaire, c’est le début d’une ascension fulgurante. Simple membre du parti nazi jusque-là, Brandt rejoint les rangs de la Schutzstaffel (SS) en 1934, comme simple Untersturmführer avant de progresser rapidement. En 1939, il est à la fois Generalmajor dans la Waffen-SS et commissaire général pour la Santé et les Affaires sanitaires. Lui qui s’était imaginé plus jeune rejoindre le Dr Schweitzer au Gabon pour y pratiquer la médecine humanitaire se voit alors chargé par Hitler en personne d’organiser l’un des premiers grands meurtres de masse du IIIe Reich : la Vernichtung Lebensunwerten Lebens (la «destruction de la vie indigne d’être vécue»). Un pur projet eugéniste dont les racines n’ont d’ailleurs rien de spécifique au nazisme.

Éliminer les faibles

L’Allemagne est en effet très loin d’être la seule nation d’Europe à se pencher sur l’idée d’une euthanasie des personnes handicapées, victimes de lésions cérébrales, démentes ou aliénées. En Angleterre ou en France aussi, l’idée que «l’amélioration» de la population passe par l’élimination de ses éléments les plus faibles est relativement courante dans le débat public, portée par des théoriciens comme Francis Galton en Angleterre ou Georges Vacher de Lapouge en France. Dans le monde germanique, l’expression «Lebensunwerten Lebens» apparait bien avant l’arrivée des nazis au pouvoir. Le terme figure dès 1920 dans un ouvrage signé par le juriste Karl Binding et le psychiatre Alfred Hoche. À leurs yeux, la mort de ceux qui sont qualifiés de «lest humain» ou de «coquilles vides» est socialement utile, éthiquement défendable et même... esthétiquement justifiée.

Ce discours est d’autant mieux reçu que la Grande Guerre a durci les sensibilités. Les patients des asiles allemands en ont été les premières victimes : de 1914 à 1918, 70000 aliénés allemands sont morts de faim dans les établissements de santé censés prendre soin d’eux, sans que personne ou presque ne s’en émeuve. Un double courant eugéniste se répand alors : sans être à proprement parler xénophobe, le premier milite pour une amélioration de la société au lendemain de la saignée de 14-18. Le second, nationaliste, raciste et antisémite, repose sur l’idée d’hygiène raciale : pour conserver son caractère supposé d’élite biologique, il faudrait impérativement protéger la «race aryenne». Dans les années 20, le tout jeune mouvement nazi nazisme se retrouve évidemment dans la seconde conception, mais force est de constater que ce discours trouve un écho bien au-delà de son électorat.

En 1923, le sondage commandé par un établissement de santé, l’asile Katharinenhof, révèle que 73 % des parents d’enfants handicapés se déclarent en faveur de l’euthanasie. Dans la communauté médicale, l’idée choque d’autant moins que la profession se montre largement acquise au nazisme : au début des années 40, un praticien allemand sur deux est membre du parti nazi, de la SS ou des deux.

Propagande de masse

En février 1933, un mois à peine après l’arrivée au pouvoir du Führer, les cours d’hygiène raciale, d’eugénisme de génétique deviennent obligatoires dans les formations de santé. Le 14 juillet 1933, la loi «pour la prévention d’une descendance héréditairement malade» définit huit affections considérées comme héréditaires : débilité mentale, schizophrénie, cécité, surdité, déformation corporelle, alcoolisme sévère… Ses auteurs estiment qu’un million d’Allemands doivent être stérilisés en urgence. Ce qui est aussitôt fait en partie, le plus légalement du monde : de 1934 à 1939, 205 «tribunaux de santé héréditaire», secondés par 18 cours d’appel, font stériliser contre leur gré 400000 hommes et femmes.

...